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mercredi 6 juillet 2016

En doutant, nous nous mettons en recherche, et en cherchant nous trouvons la vérité.


Cette phrase est d'Abélard, ce philosophe du Moyen Âge qui eut bien des ennuis pour avoir trop aimé une jeune fille nommée Héloïse. On trouve ici une idée  qui se rapproche de celle que j'ai discutée ailleurs, à savoir « Devons-nous croire au probable ? ».
La discussion est sur http://www.agroparistech.fr/En-doutant-nous-nous-mettons-en-recherche-et-en-cherchant-nous-trouvons-la.html

mardi 5 juillet 2016

Espiègle ou taquin ?

 Espièglerie ? Taquinerie ? Ironie ? Il faut vraiment faire la différence, et, comme souvent, le dictionnaire, et l'étymologie, sont des recours indispensables.

Par exemple, pour l'ironie, il s'agissait initialement d'une figure de rhétorique par laquelle on dit le contraire de ce qu'on veut faire comprendre. C'est ensuite, par extension, qu'est venue l'acception d'une moquerie sarcastique qui utilise, le ton ou l'attitude aidant, cette figure de style. Dire le contraire de ce que l'on veut faire comprendre, ce n'est pas "malin", pas agressif, comme on le prétend souvent aujourd'hui. Revenons au vrai sens des mots, au lieu d'y mettres nos lubies.

Taquinerie ? Cela semble anodin... mais est  taquin celui qui lésine sur la dépense ! C'est seulement plus tard qu'on a désigné par taquin celui qui prend plaisir à chicaner, querelles les autres ; qui s'amuse par jeu et malice à contrarier les autres en paroles ou en actes sur de petites choses pour les agacer, à les provoquer pour leur faire perdre leur calme. Revenons au vrai sens des mots.

Espièglerie, enfin ? Là, les sens convergent :  qui est vif et malicieux mais sans méchanceté ; ou qui est malicieu avec gentillesse.


Décidément, l'espiéglerie est une belle chose. Usons-en... avec modération, comme toujours.

Je ne sais pas, mais je cherche

Encore une phrase écrite sur le mur de mon bureau  : je discute la chose ici :


http://www.agroparistech.fr/Je-ne-sais-pas-mais-je-cherche.html

lundi 4 juillet 2016

Pourquoi nous ne sommes pas un laboratoire d'analyses... même si nous faisons des analyses.

Sans doute parce que je fais environ une invention "culinaire" par mois depuis plus  de 16 ans, certains confondent mon activité scientifique (nommée "gastronomie moléculaire") et la cuisine. Et quand j'essaie d'expliquer, notamment en expliquant que nous faisons des analyses, d'autres (ou les mêmes) confondent notre activité scientifique avec des activités d'analyses telles que les pratiques des laboratoires privés.

Il faut donc clarifier  : voir http://www.agroparistech.fr/Nous-ne-sommes-pas-un-laboratoire-d-analyses.html

De quoi s'agit il ?

 "De quoi s'agit-il ?"

Cette question remonte au minimum au photographe français Henri Cartier-Bresson, qui, avant de prendre une photographie, posait la question « De quoi s'agit il ? ». On retrouve ici la question de l'objectif (sans jeu de mot) : que veut-on voir ? Que veut-on montrer ? Que veut-on représenter ? De quoi s'agit-il ?   Imaginons par exemple que l'on veuille faire une photographie de fleur de pissenlit. Pourquoi ? De quoi s'agit-il ? Bien sûr, il s'agit de prendre une photographie de la fleur de pissenlit, mais là n'est pas la question posée. Pour une photographie, il ne s'agit pas seulement de représenter, mais de choisir la représentation. Veut-on montrer que la fleur est vide, quelle est fait de mille parties qui peuvent se détacher pour aller ensemencer alentour ? Qu'il y a une blancheur laiteuse ? Qu'elle est un symbole de la connaissance que l'on dissémine ? Une fleur de pissenlit n'a aucun intérêt en soi, et il faut une intention qui détermine la représentation que l'on doit retenir finalement.

Cette question du « De quoi s'agit-il ? » n'est pas propre à Cartier-Besson, et il semblerait qu'elle ait été posée, avant lui par le maréchal Foch, par exemple, mais il y a lieu sans doute de considérer que Foch a emprunté cette question à d'autres, car on comprend bien qu'elle se pose à propos des représentations, mais aussi chaque fois qu'il y a une interrogation, sur un objectif, par exemple. En sciences, cette question se pose avec acuité, car nous devons explorer des phénomènes. Prenons par exemple la question du bleu du  ciel. Bleu ? De quoi s'agit-il ? Le ciel ? De quoi s'agit-il ? Et pourquoi le bleu du ciel pourrait-il légitimement nous intéresser ?  Il y a lieu de s'interroger sur les objets que nous considérons, et la question permet de ne pas se lancer tête baissée dans des travaux qui se révéreraient finalement inutiles, ou dans des explorations qui seraient mal définies. Décidément, je crois que cela que vaut le coup d'un peu de réflexion, soutenue par cette question « De quoi s'agit-il ? ».

dimanche 3 juillet 2016

Douter de tout ou tout croire sont deux solutions également commodes, qui nous dispensent de réfléchir.

Cette phrase est de Henri Poincaré, remarquable mathématicien français, venu de Nancy et qui eut un cousin qui devint président de la république. Mais un président de la république n'est rien : il y en a tous les cinq ans ; ils passent. Alors que le Poincaré mathématicien restera dans l'histoire de la pensée humaine pour toujours, tant il était extraordinaire, tant il fit progresser la connaissance, et les mathématiques en particulier. Un président de la république est un administrateur, remplaçable. Un mathématicien de génie comme Henri Poincaré est un individu irremplaçable, notamment parce que les mathématiques sont œuvres de création. Etre un des plus grands mathématiciens de tous les temps, cela est vraiment beaucoup.

D'ailleurs, Henri Poincaré ne se contentait pas d'être un extraordinaire mathématicien ; il était aussi...

La suite sur http://www.agroparistech.fr/Douter-de-tout-ou-tout-croire-sont-deux-solutions-egalement-commodes-qui-nous.html

samedi 2 juillet 2016

Les calculs nous sauvent toujours

Un billet à lire sur http://www.agroparistech.fr/Les-calculs-nous-sauvent-toujours-que-nul-n-entre-ici-s-il-n-est-geometre.html

mardi 28 juin 2016

On nous prend vraiment pour des imbéciles ; est-ce de la malhonnêté ou de la bêtise ?

Sur twitter, un correspondant avait posté l'image suivante :

Cela semble anodin : du sel... Mais chaque mot de l'étiquette est idiot ou mensonger, ou tendancieux...

Allons-y lentement :

"ingrédients" : je vois un "s", ce qui laisse penser qu'il y en a plusieurs ; or il n'y a que du sel. Donc le "s" était mensonger.

"Cristaux de sel de mer ramassés à la main" : c'est probablement mensonger, car il est peu probable que les ramasseurs se soient baissés pour prendre le sel dans leurs mains ; ils ont probablement pris des racloirs et des pelles.

"Sans OGM" : là, c'est à hurler de rire ! Les OGM, ce sont des "organismes génétiquement modifiés". Or le sel est minéral, pas vivant. Ne contenant pas de génome, de gènes, d'ADN ou d'ARN, il ne peut donc pas être modifié génétiquement. On nage donc dans le pléonasme (une évidence voulue) ou la périssologie (une évidence non voulue, donc une faute de pensée). Et puis, c'est quand même du marketing minable, non ?
Surtout, on prend tout ceux  qui savent que le sel, les cailloux, le sable, etc. sont des minéraux pour des imbéciles. Je propose que les indications du type "sans xxx" soient bien plus sévèrement réglementées qu'elles ne le sont ajourd'hui.

"Sans additifs artificiels" : stricto sensu, ce sel est artificiel, puisqu'il a été produit (c'est la définition du dictionnaire". Additif ? Il est vrai que le sucre glace, par exemple, est additionné de silice ou d'amidon, pour éviter qu'il ne fasse de blocs. Mais, là encore, pourquoi ajouterait-on des "conservateurs" à du sel... puisqu'il est lui-même un conservateur. Et puis, en quoi le statut du sel diffère-t-il réellement des additifs ?

"Produit en Afrique du Sud" : pas bien précis ; est-le pays  ?

"Ne pas moudre au dessus de la vapeur" : de quelle vapeur ? et pourquoi ?

"Bien refermer le couvercle après utilisation" : nos vendeurs ont-ils le sentiment idiot que le sel va s'évaporer (impossible) ?

Bref, soit nos vendeurs de sels sont idiots, soit ils sont tendancieux, soit ils nous prennent  pour des imbéciles. N'achetons pas leur sel !

samedi 25 juin 2016

Les molécules et les composés

Qu'est-ce qu'un composé ? Qu'est-ce qu'une molécule ? J'ai déjà donné la réponse (qui est donnée dans tous les cours de chimie), mais il faut  que j'y revienne, parce que je m'aperçois que cela peut rendre service à tous ceux qui parlent du monde matériel, qu'il s'agisse de cuisine ou d'écologie, ou de droit, ou d'environnement.
Evidemment, ceux qui ont suivi leurs cours de chimie, au collège et qui s'en souviennent, ne vont pas trouver du nouveau ici ; je m'adresse surtout à tous ceux pour qui la chimie est insuffisamment familière, et qui ont besoin ou envie d'avoir des idées claires. J'ajoute :
1. que je n'ai aucun mépris pour ceux qui ont besoin de ces explications : nous sommes tous ignorants d'idées, de notions que d'autres jugent "élémentaires"
2. que cette explication a fait l'objet d'un podcast sur le site AgroParisTech... et qu'elle a été largement plébiscitée, preuve que les scientifiques doivent ne pas croire que les connaissances scientifiques qu'ils ont sont connues, et que l'intérêt collectif est qu'ils fassent des efforts pour communiquer leurs connaissances à l'ensemble de la communauté.

Avant deux anecdotes, des choses simples

Je veux commencer par deux anecdotes, pour bien montrer combien le sujet est important... mais comme beaucoup de mes amis ignorent ce qu'est une molécule, je commence par un exemple.


La suite sur http://www.agroparistech.fr/Les-molecules-et-les-composes.html

mercredi 15 juin 2016

Le végétal, un nouveau pétrole ?



 Mon ami Jean-François Maurot Gaudry publie un livre intitulé "Le végétal, nouveau pétrole ?". De quoi s'agit-il ?

L’Académie d’Agriculture de France s’intéresse depuis plusieurs années à la valorisation de la matière biologique végétale notamment pour des applications autres qu’alimentaires.

 En effet, suite à l’« oubli » qu’a amené l’arrivée des produits carbonés fossiles, charbon, gaz et pétrole, dans les pays industrialisés, nous redécouvrons depuis peu que beaucoup de produits chimiques carbonés (lubrifiants, solvants, tensioactifs, etc.), matières énergétiques et matériaux (matières plastiques, par exemple) peuvent aussi être fabriqués à partir de la matière biologique, la biomasse, à des coûts énergétiques relativement bas tout en rejetant peu de gaz à effet de serre et de produits toxiques dans l’environnement.

Cette prise de conscience nous a amenés à revoir notre façon de penser et notre manière de vivre et à nous orienter vers une nouvelle économie dite bioéconomie, qui préconise de réduire ou de remplacer le plus possible l’utilisation de ces hydrocarbures fossiles par des ressources végétales renouvelables produites par la photosynthèse.


Cet ouvrage rappelle tout d’abord les problèmes posés par l’utilisation massive, voire exclusive dans certains cas, des produits fossiles pour la chimie et la fabrication des matériaux à base de carbone. Il décrit ensuite les principaux composés rencontrés dans les végétaux et leurs transformations en biomolécules et bioproduits, à la base de la chimie organique.

 Il évoque les avantages et les problèmes posés par cette approche durable de la chimie, aux racines finalement ancestrales. Une liste des principales plantes d’intérêt est donnée pour montrer combien de nombreux végétaux sont encore détenteurs de molécules originales pour la chimie, parfumerie et cosmétologie incluses. Une discussion conclusive sur les retombées économiques, sociétales et environnementales de cette approche « chimie biosourcée » montre que cette économie « verte » n’est pas une utopie mais une réalité qui prend forme dans un monde conscient des limites de l’utilisation excessive des produits fossiles.

Dans un esprit de synthèse, sans être exhaustifs, il a essayé d’être le plus objectif possible dans les débats qu’engendre cette nouvelle approche de la chimie issue essentiellement de produits biologiques végétaux. Ces réflexions essaient de croiser, sans a priori ni exclusive, les connaissances les plus récentes avec les attentes technologiques nécessaires à une chimie et agriculture durables.

Jean-François Morot-Gaudry, directeur de recherche honoraire de l’INRA, a animé à l’Académie d’agriculture de France un groupe de travail intéressé par la valorisation non alimentaire des produits agricoles en chimie et biomatériaux.

Les résultats des recherches et réflexions de ce groupe ont fait l’objet de la publication de cet ouvrage paru aux éditions Quae.





dimanche 12 juin 2016

Faire n'est pas comprendre

Commençons par un avertissement : ce que je dis ici est factuel. Ce n'est pas une critique des étudiants ou des collègues, mais une nécessaire observation, en vue d'améliorer l'enseignement. Et, pour sous-tendre toute la discussion qui suit, merci de garder en tête les mots "indulgence", "bonté", "réalisme", "pragmatisme", "idéal", "amélioration"... Je ne donne pas de leçons, mais j'essaie d'oeuvrer pour le bien commun ; oui, je ne donne pas de leçons, car je n'oublie pas que je suis personnellement insuffisant, en tant qu'étudiant, en tant qu'enseignant, en tant que chercheur  (mais j'essaie de me soigner par le travail).

Ca y est ? On est dans état d'esprit indulgent ? Alors allons-y.

D'abord, c'est un fait que certains collègues ne me croient pas quand je leur dis que certains étudiants de mastère ont des capacités de calcul extrèmement réduites. C'est pourtant un fait, notamment pour les matières qui s'éloignent de la physique :  quand j'évoque le potentiel chimique, ou l'enthalpie libre, ou l'ensemble micro-canonique, ou encore l'équation de Schrödinger, les éudiants de chimie, de biochimie, de biologie, de nutrition sont souvent ignorants de ces notions. Quand ils sont en confiance, ils admettent se souvenir que ces mots ont été prononcés dans le premier cycle universitaire (ouf !)... et qu'ils ont tout oublié de ce dont il s'agit. Il leur reste les mots, mais, en tout cas, ils ne sont certainement plus (pas ?)capables de mettre en oeuvre les concepts en question.  
Là, il faut que je remette une couche de précautions liminaires. Avec deux remarques :  la première est que je ne condamne évidemment pas les disciplines éloignées de la physique, et qui ont une autre spécificité. La deuxième est que je ne condamne pas non plus les étudiants ;  j'observe seulement que les notions précédentes leur manquent, de sorte qu'il devient difficile de construire un enseignement "par dessus", disons un enseignement qui utilise ces idées pour aller plus loin, vers du savoir de notre vingt-et-unième siècle. 

Mais nous n'en sommes qu'au début de la discussion. Le cas le plus intéressant est celui de la règle de trois, qui, je le maintiens, n'est pas maîtrisée.
Là, mes collègues me disent généralement que j'exagère, mais j'ai dans mon bureau, accrochée au mur, une feuille où deux étudiants de mastère ont eu la même règle de trois à faire et ont produit deux résultats différents. Un des deux résultats est faux, donc, et l'autre est juste, mais l'étudiant qui l'a produit n'était pas prêt à parier une bouteille de champagne que son calcul était bon.  D'ailleurs, je ne conserve cette feuille que comme une preuve de ce que j'avance, pour les autres, car, pour moi, je sais parfaitement que la très  grande majorité des étudiants venus en stage ont perdu environ une semaine de travail en raison de calculs de concentrations qui étaient faux, ce qui revient à l'usage de la règle de trois.

Prenons la question simplement.
D'abord, un exemple. Supposons que pour 2,03 euros on ait 0,57 kg de banane, combien aurait-on pour 7,51 euros ?
Quand je pose la question, j'ai deux types de réponses : il y a les étudiants qui mettent correctement en oeuvre le "produit en croix", et qui, de ce fait, obtiennent un résultat juste, et ceux qui ne mettent pas correctement en oeuvre la technique -mécanique, il faut le répéter- et qui ont un résultat aléatoire, ce qui est une façon pudique de dire que le résultat est faux (dans la majorité des cas).
Pour ces derniers, on peut trouver des explications (ils sont intimidés, par exemple), mais quand même : ne doit-on pas s'interroger sur les mécanismes qui ont permis de faire arriver jusqu'en mastère de science des étudiants qui ne savent pas faire une règle de trois ? Je suis moins de ceux qui passent leur temps à analyser des questions difficiles, que de ceux qui, bien plus positivement, cherchent à rendre tous les étudiants autonomes  :  à les rendre tous capables de produire un résultat juste tout en étant assurés que ce résultat est juste puisque, un jour, plus personne ne sera derrière eux pour le valider.
Et c'est pour cette raison que je les questionne en leur demandant s'ils seraient prêts à parier une caisse de champagne sur le résultat qu'ils produisent. Je n'ai jamais eu personne prêt à faire ce pari, et encore moins quand j'évoque que leur vie puisse en dépendre. 
La vraie question est là, la question honnête : comment être certain que notre calcul est  juste?
La mise en oeuvre du produit en croix n'est pas une garantie de l'exactitude du résultat. C'est une opération mécanique,  comme une espèce de petite boîte noire munie d'une manivelle que l'on tournerait : on produit un résultat, mais la question est de savoir si ce résultat est juste  Il y a lieu de s'interroger puisque deux étudiants qui utilisent cette machine ont produit deux résultats différents.
Quand, finalement, les étudiants ont compris mon interrogation, ils en viennent à  demander une méthode pour être certains de leurs résultats, et il n'est pas difficile de se mettre alors devant un ordinateur et de taper lentement :
 - pour 2,23 euros, on a 0,57 kg de banane
 - pour 2,23 fois moins d'argent, on a  2,23 fois moins de bananes
 - donc pour 2,23 euros divisé par 2,23, on a 0,57 divisé par 2.23 kg de bananes
 - c'est-à-dire que pour 1 euros on a cette quantité  : 0,57 divisé par 2,23
 - mais si on a 7,51 euros, c'est 7,51 fois plus que 1 euro
 - de sorte que pour  7,51 euros, on a   7,51 fois 0,57 divisé par 2,23
Cette fois il n'y a plus de raison de se tromper ; il n'y a plus de possibilité de se tromper, et il ne reste qu'à s'émerveiller de la remarquable idée de proportionnalité. Cette notion apparaît quand nous faisons l'hypothèse que pour 2,23 fois moins d'argent, nous avons 2,23 fois moins de banane, et je maintiens que c'est là une des plus grandes difficultés des mathématiques élémentaires, avec peut-être la possibilité de remplacer des valeurs par des lettres. Bien sûr, pour m'expliquer la proportionnalité, on pourra me faire des schémas, me tracer des droites, etc., mais je maintiens qu'il y a une difficulté conceptuelle essentielle, qui n'est pas toujours perçue à sa vraie valeur, tout comme, et j'en tiens pour preuve les innombrables petits cours que je donnais, la difficulté de manier des équations, où des lettres représentent des quantités.

Plus tard, dans l'enseignement universitaire, le même type de difficultés demeure, par exemple quand il est question de potentiel chimique. Les étudiants habitués à faire marcher la mécanique arrivent à  manipuler les équations et,  notamment, à  calculer des potentiels chimiques, mais combien ont-ils vraiment compris que le potentiel chimique d'une solution est comme l'énergie potentielle d'une bille, en bas ou en haut d'une montagne ? Combien ont-ils vraiment compris que l'ajout d'un soluté change l'énergie (chimique) de la solution ? Là est l'origine de l'osmose, où des solutions de concentrations différentes d'un même soluté évoluent quand elles sont séparées par une membrane semi-perméable. Qu'il y ait évolution du système est bien la preuve que l'énergie était initalement différente dans les deux compartiments, de sorte que progressivement, les échanges de matière à travers la membrane (le plus souvent, de l'eau) égalent les énergies entre les deux compartiments, ce qui  est l'équilibre thermodynamique.  Et c'est ainsi, finalement, que la pression osmotique peut être calculée.

Dans le cas de la règle de trois, comme dans ce cas plus compliqué du potentiel chimique, il y a utilité à ne pas s'arrêter au maniement des équations, mais à aller plus loin, vers la compréhension des phénomènes. Oui, il y  en a quelques uns qui calculent comme les oiseaux chantent, et je suis de ceux-là. Le calcul se fait presque à notre insu, et, pour peu que nous ayons des règles sufisamment strictes, que nous connaissions les conditions dans lesquelles la mécanique calculatoire est possible,  alors tout se passe bien, et le calcul est juste. Mais il y a aussi la possibilité de comprendre, et, alors, le calcul devient une expression de notre pensée des phénomènes, et non le socle sur lequel ccette pensée s'érigera.

On a compris, bien sûr, que mon questionnement est relatif à  l'enseignement des sciences de la nature, et que je ne prends là  que des exemples. La vraie question est de bien dire à nos jeunes amis que la question essentielle est la conservation de l'énergie, la  conservation de la masse (laquelle est la "quantité de matière", plus que le nombre de moles, comme le disent certains chimistes), la conservation de la charg électrique. Voilà des notions universelles, à utiliser sans cesse, pour obotenir des calculs bien pensés et justes.

Des députés "épinglés" pour avoir déjeuné avec des industriels ? On en fait un titre, mais après ?

Il est amusant d'observer que, alors que le public ne croit plus à la presse, il se fonde quand même sur les informations données par cette dernière pour élaborer (si l'on peut dire) des raisonnements... qui, souvent, ne dépassent pas le stade du bistrot. Et puis, il y a presse et presse. A côté de celle qui veut donner des idées justes du monde, il y a celle qui veut d'abord "vendre du papier". Doit-on donner le nom de presse à ces entreprises où n'importe qui peut écrire, à condition non pas de savoir écrire, mais de savoir faire vendre, en sollicitant les pires fibres de l'être humain ? On a dit de la presse que c'était le "quatrième pouvoir" ? Pourquoi pas... mais serions-nous vraiment fier, aujourd'hui, d'être un "patron de presse" dont journaux seraient plein d'erreurs et d'insanités ? Serions-nous fiers d'employer des stagiaires, et de vivre d'aides de l'état, en raison d'une désertion de notre lectorat vers  une presse en ligne ? Avons-nous vraiment du pouvoir, et sur qui ?

Toutes ces questions m'arrivent alors que l'on me signale des députés "épinglés" pour avoir déjeuné avec des industriels. Le mot "épinglé" est un mot tendancieux, et il sent son ambiance minable de dénonciation. Après tout, des députés qui ne rencontreraient pas le monde civil seraient bien en peine de représenter correctement les citoyens qui les ont élus. Il faut absolument qu'ils rencontrent l'industrie, l'artisanat, les forces vives de la nation.
De ce fait, à quoi rime le titre évoqué ? Des journalistes ont-ils été vexés de ne pas avoir été invités ? Et puis, au fond, quel travail de fouille vase les a mis sur la piste du déjeuner en question : la presse n'est pas la police, que je sache.
Le journaliste d'investigation ? Un genre qui se caractérise par un travail sur la durée, des recherches poussées. De la synthèse, pas de la dénonciation criminelle...
Le journaliste Pierre Péan écrit assez justement : "Les principes qui guident la profession de journaliste semblent avoir profondément changé. Si l'on part de très loin, on peut dire que nous assistons à une inversion de ce qu'avaient prévu les législateurs le 26 août 1789 qui, dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, avaient mis la présomption d'innocence au neuvième article, la liberté de la presse deux articles plus loin, à l'article onze. Aujourd'hui la liberté de presse prime, dans les faits, sur la présomption d'innocence. Ces affaires témoignent du fait qu'on assiste de plus en plus à l'association de deux pouvoirs : le pouvoir judiciaire et le pouvoir médiatique. Cela n'est pas sain dans une démocratie d'avoir deux pouvoirs qui font alliance. En tant que citoyen, quelque chose me dérange profondément: aujourd'hui, un certain journalisme se fonde sur la violation de la loi. Toutes les grandes affaires que vous évoquez sont basées sur la violation du secret de l'instruction. Le journaliste dit « d'investigation » a des pouvoirs et des moyens exorbitants du droit commun. En publiant une écoute, c'est comme s'il avait la possibilité d'écouter, de perquisitionner. Cela pose le problème de la défense du justiciable. Les politiques ne sont pas des sous-citoyens, ils méritent une protection de leur intimité, comme tout le monde."

Enfin, selon le journal que je cite en début de texte, cela semble un crime d'être "industriel"... mais l'industrie n'est-elle pas l'emploi, la production de biens et de services, l'innovation, nos médicaments, nos ordinateurs, notre eau, nos aliments ?

Allons, positivement, on sait qu'une partie du monde est faite de gens honnêtes, et de gens malhonnêtes, de gens positifs et de gens négatifs. Bien sûr, il faut combattre (positivement, toujours très  positivement) la malhonnêteté, la méchanceté. Sans pour autant généraliser. Et inventer une presse positive, qui montre l'existence de personnalités merveilleuses, qui font progresser nos collectivités  : des intellectuels, des bâtisseurs, de bons gestionnaires...

Questions et réponses

1. Comment avez-vous découvert le concept de cuisine moléculaire/quel a été l'élément déclencheur de la cuisine moléculaire ?

 L'élément déclencheur, pour la gastronomie moléculaire comme pour la cuisine moléculaire, a été un soufflé au roquefort que j'ai fait le 16 mars 1980. La recette disait d'ajouter les jaunes d'oeufs deux par deux, dans la béchamel au fromage. Ayant jugé que ce conseil était sans intérêt, j'ai mis les jaunes tous ensemble... et coup de chance, sans que cet ajout particulier n'ait rien à voir à l'affaire, le soufflé a été raté. La semaine suivant, j'ai refait le soufflé, et j'ai mis les jaunes un par un. Je sais aujourd'hui que cela ne change rien, mais, par chance, le soufflé a été réussi.
Le 24 mars 1980, j'ai donc décidé d'exploré toutes ces "prévisions" (trucs, astuces, dictons, on dit, proverbes...). J'en ai 25 000 aujourd'hui, dont beaucoup testées... et nous en explorons tous les mois, lors de nos "séminaires de gastronomie moléculaire" (on peut recevoir les invitations, et aussi les comptes rendus, en demandant à icmg@agroparistech.fr ; c'est gratuit).
Au même moment, mon laboratoire étant dans ma cuisine, je me suis dit qu'il serait bon de rénover les techniques culinaires, et j'ai commencé à proposer aux cuisiniers d'utiliser des objets de laboratoire. C'est cela, la "cuisine moléculaire", dont le nom a été donnée (par moi, en réponse à un journaliste qui m'interrogeait) en 1999, pour distinguer de la gastronomie moléculaire, qui, elle, est une activité de physico-chimie, réservée aux scientifiques.
A noter que le nom de "gastronomie moléculaire", et l'identification de cette nouvelle discipline, ont été introduits en 1988. A noter aussi que la cuisine moléculaire, ce n'est (évidemment pas)  "cuisiner avec des molécules", parce que tous les aliments sont faits de molécules.


2. Concrètement comment l'avez vous appliquée à la cuisine? Pierre Gagnaire a-t-il dès le début collaboré avec vous?

Comme dit plus haut, j'ai commencé à utiliser des ustensiles de laboratoire pour cuisiner dès  1980. Et je dois vous dire que le milieu professionnel français a été très lent à accepter l'idée.
Dès les années 1990, je montrais des utilisations de l'azote liquide pour faire des sorbets, mais aucun chef ne s'y mettait (sauf André Daguin, puis Philippe et Christian Conticini, ou encore Raymond Blanc !). Il a fallu un programme européen, dans les années 2000, pour que je puisse convaincre des chefs, notamment Ferran Adria, Heston Blumenthal et d'autres.
Pour Pierre Gagnaire, la chose est plus compliquée, parce qu'il ne fait pas de cuisine moléculaire, pas plus qu'il ne fait de cuisine note à note. Il a été l'un des premiers à tester les techniques de cuisine moléculaire, et il a clairement été le premier chef à servir un plat de cuisine note à note, mais il fait du Pierre Gagnaire.
Avec Pierre, notre première rencontre date sans doute de 1996, mais nous avons vraiment commencé nos explorations communes (je lui donne environ une  nouvelle invention par mois, et il la met en art culinaire) en 1999.


3. Quel a été l'élément déclencheur de la cuisine note à note (rappelez ici l'année exacte)?

Ce fut la rédaction de la conclusion de l'article "Physics and chemistry in the kitchen", pour le numéro d'avril 1994 de Scientific American. Depuis plusieurs années, j'utilisais des composés dans les aliments et les boissons, mais j'ai soudain compris que l'on pouvait généraliser la chose... et c'est ce que j'ai écrit, moitié par conviction, moitié par provocation, dans la fin de mon article.
# Rétrospectivement, je ne comprends même plus pourquoi j'avais hésité... mais il est vrai que, à l'époque, j'ai reçu des lettres d'injures.


4. Nous observons dans plusieurs pays - notamment la France - un vrai retour à la "bonne bouffe", des produits locaux, de saison, artisanaux qui s'inscrivent dans la philosophie "Slow food". On a l'impression que les gens se battent pour un retour au goût et aux bons produits. Quelle place tient la cuisine moléculaire et note à note dans cette réalité?

Les retours nostalgiques ne m'intéressent pas particulièrement. En art, il y a tout le temps ce retour aux Classiques, mais l'art moderne, lui, avance sans se soucier des nostalgiques, des craintifs, des timorés. La nature ? Un fantasme qu'un certain marketing malhonnête utilise. D'autant qu'aucun aliment n'est "naturel", puisque :
- les ingrédients (carottes, animaux, etc.) sont parfaitement artificialisés (sélectionnés, cultivés)
- est naturel ce qui ne fait pas l'objet d'un travail humain ; alors les plats... sont tous artificiels.


5. Comment vous voyez l'avenir de la cuisine moléculaire et de la cuisine note à note? Comment cette dernière  va-t-elle se développer? Y a-t-il des pays où publics plus "réceptifs" que d'autres?

La cuisine note à note  est l'exact équivalent de la musique électroacoustiquee, de la musique de synthès... qui est aujourd'hui partout ! Et je la présente, pays après pays. Elle est enseignée à des jeunes cuisiniers en France, au Danemark, au Japon, au Portugal, en Espagne... Et de plus en plus de gens s'y intéressent. Il faut donc attendre encore quelques années, et la tendance explosera.


6. Vous aimez cuisiner? Si oui, vous êtes plutôt cuisine terroir, moléculaire ou note à note? Si non, vous aimez bien manger?

Je cuisine depuis  que je fais de la chimie : à l'âge de six ans, et, dans ma famille alsacienne, on boit et on  mange tout le temps. Alors que je n'avais guère d'argent, j'ai conduit mes enfants dans des restaurants étoilés dès l'âge de deux ans (chez Michel Bras, ils s'en souviennent encore). Mais j'aurais tendance à dire aujourd'hui que si je très bon en technique culinaire (je sais faire plus de 40 litres de blancs en neige à partir d'un seul blanc d'oeuf, je sais cuire des soufflés sans battre les blancs en neige, et je fais une invention par mois au minimum), je suis un nul artistique... surtout quand je me compare à mon ami Pierre Gagnaire, qui est un superbe artiste.
Et puis, il y a cette question sociale, où je ne suis pas bon non plus.
En réalité, je préfère de beaucoup les calculs, les équations, l'activité scientifique en général (sans quoi, d'ailleurs, cela fait longtemps que j'aurais ouvert un restaurant !).

Est-ce que j'aime manger ? Manger  : le mot est compliqué, et confus. J'aime à la passion manger et boire en excellente compagnie, et j'ai ce concept des "belles personnes", ceux qui me surprennent à chaque mot, qui me font voir des aspects du monde que je ne soupçonnais pas. Cela peut être un goût, mais aussi un livre, une idée...
Cuisine de terroir, moléculaire ou note à note ? Je crois que  là n'est pas la question. La vraie question, quelque soit l'époque, la technique, c'est de faire "bon", et c'est pour cette raison que j'ai fait un livre intitulé  "La cuisine, c'est de l'amour, de l'art, de la technique".

samedi 11 juin 2016

Les résultats du Quatrième Concours International de Cuisine note à note


Quatrième 

 
Concours International 


de 


Cuisine Note à Note



Paris, le 10 juin 2016

Thème : cellulose, dérivés de la cellulose et composés à action trigéminale.






Le 10 juin 2016, à AgroParisTech, les candidats, de plus de 20 pays, ont présenté leurs travaux à un jury composé de :
● Thierry Mechinaud, Restaurant Pierre Gagnaire, Paris, France
● Patrick Terrien, ancien chef des chefs de l'Ecole du Cordon bleu
● Sandrine Kault, Société Louis François
● Yolanda Rigault, organisatrice du Concours
● Hervé This, AgroParisTech-Inra International Centre for Molecular Gastronomy

Les prix ont été attribués, dans trois catégories :



Catégorie Chefs :

Premier Prix :
Guillaume Siegler, chef du Cordon Bleu Tokyo, Japon

Deuxième Prix :
Roux-Var Emmanuel, Manager en restauration, chef de cuisine, formateur en cuisine sous vide, Ecole Pralus, France.



Catégorie Amateurs :

Premier Prix :
Eric Olivier Lermusiaux, France






Catégorie Etudiants :

Premier Prix ex aequo :
Michael Pontif, Chimie ParisTech, France
Sophie Dalton, Dublin Institute of Technology, Dublin, Irlande

Deuxième Prix
Etienne Laborie, Chimie ParisTech, France

Troisième Prix :
Rohit, Etudiant du Master Erasmus Mundus Food Innovation and Product Design, Inde
Alice Payrault, ISIPCA




Les recettes illustrées seront progressivement mises en ligne sur le site http://www.agroparistech.fr/Le-quatrieme-Concours.html







Merci à nos partenaires :
Mane SA Louis François

jeudi 2 juin 2016

Morgen Stund het Gold a Mund


Il y aurait ceux qui se lèvent tôt et se couchent tôt, ceux qui se lèvent tard et de couchent  tard. Avec cette alternative, c'est comme avec pile ou face. Deux possibilités seulement semblent apparaître ; pourtant, il y a la tranche ! Il y en a qui se lèvent tard et se couchent tôt, justifiant leur comportement par le besoin de sommeil, mais si la physiologie est parfois une vraie justification, cette catégorie habille, parfois aussi, une peur du vaste monde, comme quand l'escargot ne sort plus de sa coquille.
Et puis, il y a ceux qui, passionnés par une activité, c'est-à-dire ayant appris à comprendre les beautés de cette dernière, se lèvent tôt et se couchent tard, parce qu'ils ne veulent pas perdre une seconde, qu'ils ont plaisir à être actifs... On a bien lu "ayant appris". Oui, il y a ceux qui sont tombés dans la marmite quand ils étaient petits, mais il y a aussi ceux qui ont grandi, ont appris.

Pour moi, la passion est venue de cette expérience merveilleuse -la beauté est dans le regard !- de l'eau de chaux qui se trouble quand on souffle dedans : enfant, j'ai aimé la chimie à la passion, utilisant mes moindres moments pour des expériences parfois risibles. Je n'ai toujours bien compris les enjeux, ou, plus exactement, je n'ai pas du tout compris les enjeux... confondant pendant longtemps la technique, la technologie et la science.
Et c'est ainsi que, pendant des décennies, j'ai signé mes messages d'un  "Vive la chimie ! » énergique. C'est pour cette même raison que j'avais détourné cette phrase avec laquelle Alexandre Vialatte  concluait ses Chroniques de la Montagne :  « Et c'est ainsi qu'Allah est grand ». L'enthousiasme ironique de cette phrase me permettait, en  la transposant à la chimie, de faire état d'un éblouissement et, aussi, de prendre un peu de recul par rapport à ce dernier. Pas assez pourtant pour comprendre que mon coeur va autant à la chimie qu'à la physique.


Mais je me suis éloigné de la phrase « Morgen Stund het gold a mund », qui est affichée sur un mur de mon laboratoire. C'est une phrase en alsacien qui signifie « Ceux qui se lèvent tôt ont de l'or dans l'a bouche", ce qu'il faut interpréter par "L'avenir appartient à ceux qui se lèvent tôt". On comprend que c'est donc la justification (de mauvaise foi) de ceux qui se lèvent tôt et qui veulent prétendre à une  supériorité par rapport à ceux qui se lèvent tard. Je préfère penser que l'avenir appartient à ceux qui se lèvent tôt et se couchent tard, mettant beaucoup de soin et d'application à ce qu'ils font.

mercredi 1 juin 2016

Tu viens avec une question, mais quelle est ta réponse (utilise la méthode du soliloque)

Au laboratoire, ma porte est ouverte en permanence,  car je veux que mes amis puissent venir me parler de science à tout instant. Pour autant, sur la porte, il y a cette inscription « Tu viens avec une question, mais quelle est ta réponse ? »,  et, en dessous, il y a  marqué : « Utilise la méthode du soliloque ». A quoi cela rime-t-il ?

La question posée, si l'on peut dire


Nous sommes bien d'accord : mon objectif est de grandir et d'aider mes amis à grandir également. Grandir, cela signifie être autonome, tenir sur ses deux  jambes. Cela ne signifie pas que nous ne pouvons pas discuter avec nos amis, mais n'aurions-nous pas raison de chercher à être indépendant, à penser par nous-mêmes?
Dans nos travaux scientifiques, l'objectif est d'arriver à produire de la science de bonne qualité, collectivement bien sûr, mais aussi individuellement. Albert Einstein n'avait pas besoin de grand monde pour l'aider à produire de la science, pas plus que Michael Faraday, ou Paul Dirac, ou Galilée. Même sans nous comparer à de tels grands anciens, nous pouvons avoir l'ambition de bien faire, ce qui impose que nous y pensions (toujours, y penser toujours). De ce fait, je crois que c'est une mauvais position, pour les étudiants, que de venir poser leurs questions et recevoir les réponses à ces questions. N'est-il pas préférable qu'ils cherchent eux-mêmes les réponses, et apprennent à trouver ces dernières ?  Évidemment, pour ne pas faire de catastrophe, ils pourront soumettre les réponses qu'ils auront trouvées, afin que l'on corrige des fautes éventuelles, qu'on les remette sur la bonne voie s'ils se sont fourvoyés. Après tout, les professeurs ont pour eux l'avantage des années, ce qui signifie en pratique d'avoir  déjà fait un très grand nombre d'erreurs  et, les ayant analysées, d'être capable de ne pas les refaire.
C'est donc cela que je propose aux étudiants : chercher les réponses aux questions qu'ils se posent, trouver ces réponses, et les soumettre, à moi ou aux autres membres du Groupe de gastronomie moléculaire.

On ne rejette pas des amis !

En réalité, cette dynamique (j'avais écrit "règle", mais le mot "dynamique" représente mieux l'état d'esprit de notre groupe de recherche)  n'est pas venue immédiatement, mais je l'ai instaurée quand j'ai vu que certains se reposaient entièrement sur les autres, et que, de de fait, ils perdaient  l'intérêt de leur stage, qui, selon la loi, consiste à transformer des connaissances en compétences.
J'avais donc d'abord écrit sur la porte : « Tu as une question, mais quelle est ta  réponse ? ». A cette proposition, certains de nos jeunes amis m'ont dit assez justement que s'ils venaient m'interroger, c'est précisément qu'ils n'avait pas la réponse. L'avaient-ils cherché assez ? Je ne sais pas, mais il est vrai que, au minimum, je devais leur demander s'il avait cherché assez. C'est donc  ce que j'ai d'abord fait, mais certains sont alors revenus après un long moment en ayant « séché » : malgré du temps passé,  ils n'arrivaient  pas à trouver la réponse, parce qu'ils leur manquait une méthode pour chercher et pour trouver.
C'est alors que j'ai mis au point cette « méthode du soliloque » qui est au  minimum une pratique correcte de chercher, laquelle conduit presque immanquablement à trouver.

Qu'est-ce que cette méthode ?

Elle est fondée sur l'observation selon laquelle nos tête sont pleines de pensées tourbillonnantes, qui nous empêchent de nous focaliser sur les questions que nous devons analyser. D'autre part, l'exercice de la pensée met en oeuvre au moins de la déduction et de l'induction, et si l'induction est quelque  chose de bien difficile, la déduction devrait être à la portée de tous… à condition de bien s'y prendre. La méthode  du soliloque se fonde sur  une  hypothèse due à l'abbé Condillac et reprise par Antoine Laurent de Lavoisier, qui consiste à supposer que les pensées sont véhiculées par des mots. De la sorte, en considérant bien les mots, nous pourrions corriger nos erreurs intellectuelles, et progresser dans l'analyse des questions.
L'analyse du soliloque  propose en substance d'analyser par écrit les  raisonnements que nous faisons à propos de questions que nous nous posons. C'est une  méthode très efficace,  qui est développée  dans des documents mis en ligne et que j'ai fini par proposer aux étudiants qui venaient  m'interroger.

On se souvient que je propose de penser qu'il y a des obligations de moyens ou des obligations de résultats. L'obligation de résultats n'est pas demandée aux médecins, par exemple, parce qu'ils ne peuvent pas garantir qu'ils sauveront les patients de la mort.  En revanche, les médecins ont une  obligation de moyen, ce qui signifie qu'ils doivent connaître les bonnes pratiques de leur profession et les mettre en oeuvre. Les étudiants  étant... des étudiants, je ne leur demande pas des résultats, mais seulement d'apprendre. Et, apprendre, c'est (pour ceux qui n'ont rien de mieux à proposer) mettre en oeuvre la méthode du soliloque,  afin de devenir progressivement capable de trouver les réponses aux questions que l'on se pose.

Ce qui est merveilleux, avec cette proposition de mettre en oeuvre la méthode du soliloque, c'est que progressivement,  les étudiants parviennent vraiment à trouver des réponses aux questions qu'ils se posent. Au pire, ils ont appris la méthode du soliloque,  c'est-à-dire une analyse fondée sur un usage sain des mots.. ce qui est quand même un bon début, à défaut d'être le résultat visé.

dimanche 29 mai 2016

Faut-il manger des viandes cuites au barbecue ?

Ce matin, un correspondant (amical) me demande des précisions sur la cancérogénicité des viandes cuites au barbecue, afin de ne plus en manger :
"Vous dites que manger des aliments cuits au barbecue est cancérigène, pouvez-vous me préciser exactement ce qui l'est, est-ce le charbon ou autre chose ? J'aimerais en savoir plus avant d’arrêter définitivement ces moments plaisirs de l'été."

 Je lui réponds  :

Je ne dis pas qu'il ne faut pas manger de viande cuite au barbecue, pour cette première et importante raison que je dis que chacun doit faire ce qu'il veut. Dans mon laboratoire, les "on doit" ou les "il faut" sont interdits, et nous invitons chacun à prendre des décisions responsables, après recherche.
Pour ce qui concerne le barbecue, je dis plus exactement (et j'ai des tas de références scientifiques à vous donner) que la viande mise au-dessus du feu ou de la braise se charge de benzopyrènes cancérogènes. Que le feu soit vif, avec des flammes,  ou qu'il n'y ait que des braises, que l'on ait utilisé du bois ou du charbon de bois, peu importe.
En revanche, je propose de savoir que si l'on surélève la grille, la quantité de benzopyrènes diminue, mais, surtout, que si l'on met la viande à côté du feu, et non pas dessus, alors la quantité de benzopyrène devient indétectable (pour ne pas dire nulle) : en effet, les viandes cuisent tout  aussi bien, parce que les infrarouges se propagent dans toutes les direction ; mieux encore, on peut mettre derrière la viande un réflecteur, nommé "coquille", qui accélère la cuisson. Et dans cette configuration, évidemment, pas de benzopyrène !
Finalement, s'il est vrai que les benzopyrènes cancérogènes sont effectivement abondants dans les viandes au barbecue classique, je ne crois pas qu'il faille arrêter de cuire ainsi, quand cela n'a lieu que quelques fois. Car le risque n'est grand que pas la répétition des expositions.
D'autre part, je prends souvent l'exemple de la viande au barbecue non pas pour empêcher mes amis de manger des préparations, mais surtout pour inviter à être de bonne foi, et à ne pas se préoccuper de dangers moins avérés, de risques plus faibles (les additifs, les pesticides, les perturbateurs endocriniens, le gluten, que sais-je ?) quand on fait soi-même bien pire. Il y a d'autres exemples de ce type : fumer, boire, ne pas enlever la peau des pommes de terre, etc.

 Je revendique surtout de la cohérence !

samedi 28 mai 2016

Comment faire d'un petit mal un grand bien ?

Dans les emails que chaque membre de notre Groupe de gastronomie moléculaire envoie à  tous les autres, chaque soir, pour faire état des travaux effectués pendant la journée, il y a un tableau qui comporte des lignes. Par exemple,  nous décrivons  nos travaux, scientifiques ou de communication, nous décrivons ce que nous avons fait d'un point de vue administratif, nous disons ce que nous avons appris (connaissances) et appris à faire (compétences) ; nous disons ce que nous avons donné aux autres : un coup de main, un calcul, la correction d'un texte.
Mais la ligne la plus essentielle de ce tableau est intitulée "symptôme", où nous décrivons ce qui a coincé. Cette ligne est essentielle, parce que l'analyse de ce qui a coincé est la possibilité de progresser. C'est parce que nous nous heurtons à un obstacle, si nous apprenons à le contourner, à l'escalader, que nous aurons des chances de progresser. Si nous identifions qu'une connaissance nous manquait, nous l'obtenons.  S'il nous manque une compétence, nous pouvons avoir l'objectif de l'acquérir.
Chaque fois, il y a ce mouvement très positif d'arriver à un état meilleur que l'état précédent. Il y avait un un petit mal, et nous en avons fait un bien. Tant qu'à faire, pourquoi pas un grand bien ?

Un bon exemple d'un tel mouvement eut lieu un jour, avant un banquet que je devais commenter, et où une sauce avait raté : la sauce était grumeleuse, impossible à servir...
Ce jour-là, j'ai eu l'idée d'analyser la question : la sauce était ratée ? Que cela signifiait-il ? Qu'il y avait un sédiment et un liquide clair. Clair ? Après tout,  les cuisiniers cherchent toujours à clarifier les bouillons, de sorte que cette clarification était un avantage. Nous pouvions donc produire un liquide clair à partir de cette sauce grumelée.
Effectivement la décantation de la  la sauce ratée conduisit à une sorte de purée, qui avait beaucoup de goût, et qui fut servie, et à un liquide parfaitement clair, qui avait le goût de la sauce visée. Finalement ce petit mal de la sauce ratée a conduit non seulement à une sauce d'une limpidité absolue, qui fut servie dans un verre de cognac, mais aussi à me faire comprendre que nous aurions sans doute intérêt à toujours faire d'un petit mal un grand bien. A nous d'analyser le ratage, pour parvenir à ce grand bien. Ce n'est pas un grand bien obtenu par déduction, mais par induction, de sorte que si nous y avons pensé beaucoup, nous saurons faire preuve de créativité.
Là, j'entends nombres d'amis qui avouent leur insuffisance dans ce domaine : créativité, innovation... Toutefois j'ai fait un livre entier (Cours de gastronomie moléculaire N°1) pour expliquer comment la créativité n'est pas un don du ciel, mais plutôt la mise en œuvre active d'une méthode systématique que j'ai  détaillée dans ce livre. La méthode est systématique, donc infaillible. Elle ne demande une chose : du travail, ce qui est donc merveilleux, au moins pour les individus  que j'estime le plus : ceux qui n'hésitent jamais à se retrousser les manches. Je ne doute pas que le travail leur donnera  la créativité, après un peu d'exercice, de sorte que, presque à coup sûr, ils sauront faire d'un petit mal un grand bien.

dimanche 22 mai 2016

Quand le ver est dans le fruit...

Des amis me signalent qu'un journaliste qui ne me veut pas de bien (pourquoi ?) publie un article où il me cite. Effectivement, l'homme me cite... en indiquant que je serais "professeur de biologie moléculaire au Collège de France".
Il faut rectifier, tout d'abord : je ne suis pas professeur au Collège de France, d'une part ; ensuite, je ne suis plus au  Collège de France depuis 2006 (dix ans, donc : notre homme devrait travailler un peu avant d'écrire n'importe quoi) ; enfin je ne suis pas spécialiste de biologie moléculaire, mais je m'efforce de pratique la physico-chimie, ce qui est bien différent.
Bref, notre homme publie n'importe quoi, mais là n'est pas la question. La question que je propose de poser ici est une question générale, qui est de savoir quel crédit accorder à un texte où l'on voit de grossières erreurs ?

La question est générale, comme je viens de le dire : quand on lit un article et que l'on dépiste une erreur, ou quand on lit un devoir d'étudiant, ou quand on lit un livre, ou quand on écoute un discours, une présentation orale... Oui, si l'on voit que, au moins par moment, l'individu qui s'exprime en public dit n'importe quoi, pouvons-nous avoir confiance dans le reste ?
En principe, oui, bien sûr, une erreur factuelle, localisée, n'est qu'une erreur localisée, factuelle. Mais quand cette erreur est énorme, c'est quand même un signe que notre interlocuteur n'a pas fait beaucoup d'efforts, et la probabilité qu'il ou elle ait bâclé l'ensemble devient notable.
Surtout, il y a un doute, et l'ensemble du texte perd de sa crédibilité. De même, quand un ver est dans le fruit, il peut s'être logé au coeur, et n'avoir fait que des dégâts minimes... mais il peut aussi avoir rongé tout l'intérieur.

En écrivant ces mots, je tremble, bien sûr, que mes propres textes ne comportent des erreurs qui seraient considérées comme grossières par des amis plus savants que moi. Mon discours sera-t-il alors disqualifié ? Je tremble, aussi, rétrospectivement, car je me souviens d'erreur que je faisais, quand j'enseignais (et je fais peut-être encore des erreurs quand j'enseigne).
Par exemple, pour expliquer à des étudiants pourquoi l'huile ne se mélange pas à l'eau, je prenais la comparaison d'un sac empli de petits aimants et de petits morceaux de plastiques : les aimants auraient représenté les molécules d'eau, qui s'attirent assez fortement par des "liaisons hydrogène", tandis que les morceaux de plastique auraient représenté les molécules d'huile. Quand on secoue le sac, les aimants se groupent au fond, avec les morceaux  de plastique par dessus. Cette comparaison est fautive, car les molécules de l'huile (les triglycérides) sont quand même attirées par les molécules d'eau, par des "liaisons de van der Waals, mais c'est pour des raisons de désordre moléculaire qui diminue que les molécules d'huile ne se dissolvent pas dans l'huile. Mea culpa, pardon aux étudiants  qui ont été ainsi exposés à mes erreurs... qui me conduisent, plus que jamais,  à inviter les étudiants à ne pas se reposer sur des professeurs, à ne jamais accepter pour vrai que ce qu'ils ont pu vérifier, corroborer.

D'où cette maxime, "Tenir le probable pour faux jusqu'à preuve du contraire", que l'on peut rendre plus positive en "Dois-je croire au probable ?".