mercredi 16 décembre 2020

Peut-on congeler une gelée ?

 science/études/cuisine/politique/Alsace/émerveillement/gratitude


Peut-on congeler un gel ? La question m'est en réalité posée différemment  : on me demande si la gélatine se dégrade à la congélation ?


Commençons par le macroscopique avant le moléculaire. Quand on part d'une feuille de gélatine & qu'on lui ajoute de l'eau, puis que  l'on chauffe, la gélatine  se dissout dans l'eau, quand la température devient supérieure à environ  36 degrés.
Puis, quand on refroidit cette "solution", alors on obtient un gel, une gelée, un aspic.
Si l'on met maintenant ce gel au congélateur, alors on observe que le gel se congèle, mais progressivement, on observe des cristaux de glace, qui, d'ailleurs, grossissent avec le temps.
Si l'on décongèle  ce gel congelé, alors on observe que l'on n'a plus le gel initial, mais un liquide.


Comment comprendre cela ?

Les  phénomènes culinaires s'interprètent généralement en termes moléculaires.
Commençons par la feuille de gélatine : elle est faite de molécules de gélatine, analogues à des fils souples, agrégés dans la feuille tout comme des fibres de cellulose sont agrégées dans du papier.
L'eau, elle, est faite d'une myriade de molécules d'eau qui s'agitent en tous sens, qui "grouillent", d'autant plus rapides que l'eau est plus chaude.
Quand  on chauffe une feuille de gélatine dans l'eau, les molécules de gélatine se dispersent parmi les molécules d'eau.
Puis, quand on réduit la température de cette solution de gélatine, alors les fils souples s'associent par leurs extrémités, par trois,  & forment un réseau, une sorte d'échafaudage dans les trois directions de l'espace, à l'intérieur duquel l'eau, les molécules d'eau sont plus ou moins piégées : en réalité, les molécules d'eau peuvent bouger localement (d'où la "souplesse" du gel), mais elles ne peuvent pas s'écouler comme le ferait de l'eau liquide. La formation de ce réseau solidifie l'eau en quelque sorte : on obtient un gel qui ne coule plus alors qu'il est effectivement composé de beaucoup d'eau.




Quand on congèle ce gel, les molécules d'eau voisines s'associent, s'empilent régulièrement, & forment des cristaux de glace, qui, d'ailleurs, grossissent progressivement, atteignant  bientôt une taille qui devient plus grosse que les espace disponibles dans le réseau des molécules de gélatine. Cela casse le réseau de gélatine en séparant les molécules de gélatine, mais sans dégrader chimiquement les molécules elles-mêmes, dont les atomes sont tenus par des liaisons chimiques covalentes puissantes ; les "fils" restent des fils.

À la décongélation, l'eau fond, redevient liquide, mais la structure du gel est cassée. Pour autant, les molécules de gélatine n'ont pas souffert chimiquement, de sorte que si l'on réchauffe la solution puis qu'on la refroidit, alors on récupère une gelée.
La limite de ma description, c'est que les solutions de gélatine que l'on chauffent se modifient progressivement, & d'autant plus que l'on chauffe à haute température : quand on fait bouillir la solution de gélatine dans l'eau notamment, les molécules de gélatine sont progressivement dégradées, perdant des "morceaux" qui ont pour nom "acides aminés" ou "peptides". Cela réduit la "force" gélifiante de la gélatine...  mais du goût apparaît !




lundi 7 décembre 2020

Pour une histoire scientifique et culturelle des aliments

 Alors que notre alimentation est attaquée, il faut répéter que jamais l'humanité n'a aussi bien mangé ! Oui, on peut toujours faire mieux... mais sans écouter les mensonges des populistes, des marchands, des idéologues. D'ailleurs, leurs critiques sans propositions sont le signe de leur indignité. Car oui, qui critique sans proposition devrait se cacher de honte !

Un "aliment" ? Le terme est bien triste : parlons des plats, des mets, des compositions culinaires, de préparations où intervient évidemment la technique, mais aussi l'art culinaire (le "bon", c'est le beau à manger !) et la composante sociale de la cuisine (je cuisine pour toi parce que je t'aime).
Plus généralement,  nos mets sont des objets de culture, tout comme l'est la chimie (puisque c'est une science de la nature), et il y a lieu d'y voir plus clair. Comment ? 


En nous interrogeant d'abord sur leur origine, leur nom, l'étymologie de celui-ci, leur histoires, leurs variations, leurs évolutions, leur confection... Cela étant posé, il n'est pas inutile de nous interroger sur l'objectif qu'ont la cuisinière ou le cuisinier quand ils préparent un met particulier. Oui, un objectif, au lieu de se lancer tête baissée à suivre un protocole... qui n'envisage pas bien toutes ls possibilités, et laisse donc place à l'échec : le soufflé qui ne gonfle pas, la viande dure, la sauce mayonnaise qui rate... Bref, c'est seulement quand l'objectif est clair que l'on peut imaginer une série d'étapes techniques (la composante technique de la "recette") pour l'atteindre. Et chaque étape mérite des commentaires techniques, au delà de son libellé sec, rigoureux, précis.
Bien sûr, dans ce lot d'explorations culturelles, la discipline scientifique nommée "gastronomie moléculaire", avec ses composantes chimiques et physiques, trouve parfaitement sa place : ne cherchons-nous pas les mécanismes des phénomènes qui ont lieu quand on prépare les mets ?
Et l'on peut, ensuite, envisager des "applications" de ces connaissances scientifiques en termes technologiques : des améliorations du travail, voire du résultat.
Bien sûr, on ne doit jamais manquer de discuter les composantes artistiques et sociales, parce que nous mangeons aussi de la culture !

dimanche 6 décembre 2020

Pour aider nos amis à étudier, nous devons faire du spectacle !

 
Plus j'y pense, plus je trouve que les parcs d'attractions prennent les visiteurs pour des imbéciles, tout comme les fast food que l'on y trouve, d'ailleurs. Je dis cela, parce que deux jeunes amis de notre laboratoire, venus de l'étranger pour apprendre avec nous, m'ont annoncé vouloir passer le week-end dans un parc d'attraction près de Paris. Ces deux jeunes amis ne sont pas les meilleurs de notre groupe, pas ceux qui sont le plus "capables", pas ceux qui se donnent le plus les moyens d'arriver à mener à bien nos travaux : le sutor non supra crepidam aurait-il un fond de vérité ? 


Dans un tel cas, je me contente d'interroger, comme Socrate l'aurait fait : quel est l'objectif ? pourquoi aller là plutôt qu'ailleurs ? cette visite les rendra-t-elle demain plus intelligent qu'aujourd'hui ?  Et, évidemment, ces amis ont été gênés, d'autant que je leur avait parlé du Palais de la découverte, du Louvre, du Musée du Quai Branly... et qu'il savaient bien, au fond, que ce temps serait mal consacré. Au fond, les bandes dessinées pour enfants sont... pour les enfants, non ? Et, surtout, cette visite était une "occupation" : désoeuvrés, nos amis prévoyaient de meubler un temps en groupe, cédant à la socialité de l'espèce animale qui est la nôtre plutôt que de chercher comment s'élever l'esprit. 


Bien sûr, j'ai eu l'impression d'être un vieux rabat-joie, lors de cette discussion, mais quand même : les activités proposées sont de celles que les empereurs romains proposaient au peuple pour avoir la paix : panem et circenses, du pain et des jeux. A l'époque, les gladiateurs s'entretuaient en public, de sorte... qu'il y a eu un progrès, mais, quand même, une certaine industrie des loisirs est prête à n'importe quelle bassesse pour profiter de la faiblesse des plus faibles d'entre nous... et elle y réussit, hélas. 


Je sais bien que, comme le disait Jean de La Fontaine, que "Si Peau d'âne m'était conté, j'y prendrais un plaisir extrême" , mais quelle est notre objectif ? Avons-nous tant de temps que cela devant nous pour ne pas chercher à profiter de la moindre seconde pour nous élever l'esprit ? 


Dans la discussion que j'ai eue avec mes amis, il y a eu cette expression terrible : "nous allons nous vider la tête". Quoi, se vider la tête alors qu'il y a lieu de la remplir ? Quel réelle nécessité ? Car mes amis sont dans un environnement merveilleux, pas à la mine ! Et leurs "soucis" sont en réalité inexistants : ces enfants gâtés ont de quoi se nourrir, se loger, étudier... En vérité, ils n'aiment pas véritablement l'étude. Et c'est pourquoi ils la quittent pour ces parcs d'attraction faits pour capter ceux qui, précisément, n'aiment pas assez l'étude pour s'y consacrer. 


Il n'y a peut-être rien à faire contre cela, et se lamenter n'est pas utile. Mieux vaut des propositions positives pour arriver à améliorer le monde dans lequel ces jeunes amis vivront demain. La question fondamentale, c'est donc de conduire nos amis à plus aimer l'étude qu'il ne l'aiment.  Comment faire ? Certainement nous devons "lutter à armes égales" avec les parcs d'attractions, et nous rendre compte que, face à du mouvement, des péripéties, des regroupements humains, nous ne proposons que de l'isolement, du calme, de la monotonie, en quelque sorte.
En conséquence, je vois qu'il y a lieu  de  mettre en évidence bien  mieux que nous ne faisons les beautés extraordinaire des travaux scientifiques, par exemple, mais pas seulement eux, car certains cours d'historiens, de géographes, d'économistes, etc. sont tout à fait merveilleux. Mettre en évidence... Se contenter de montrer la beauté intellectuelle des matières proposées ne suffit pas : il y a lieu de faire du spectacle en quelques sorte ;  faut faire aussi bien que les parcs d'attraction... mais avec le but d'aider nos amis, pas de les abrutir pour capter leur argent.

vendredi 4 décembre 2020

La différence entre un scientifique et un ingénieur ? Elle est fondamentale !



Alors que je discute encore de la différence fondamentale, essentielle, existentielle même, entre les sciences de la nature et la technologie, je reçois cette question : "Quelle différence entre un scientifique et un ingénieur ?"

Par scientifique, on a compris que mon interlocuteur parle des sciences de la nature, et non pas des sciences de l'humain et de la société. Pour l" ingénieur", de même, on a compris qu'il considère ceux qui se préoccupent de technologie, qu'il ne pense pas aux ingénieurs commerciaux, par exemple.

Quelle différence, donc, entre un scientifique et un ingénieur, au sens restreint indiqué ? Les activités humaines sont caractérisés par leur objectif : pensons à la destination dans un voyage. Cette destination est accessible quand on emprunte un chemin, qui -faut-il le souligner ?- dépend de la destination.  De même que l'on n'arrivera jamais à Colmar si l'on ne s'est pas posé la question de savoir que l'on voulait y aller,  et d'avoir répondu que l'on voulait aller à Colmar, on n'arrivera pas à faire de  la science si l'on sait pas ce qu'est  la science, et l'on ne fera  pas bien de  la technologie, le métier des ingénieurs au moins pour certains, si l'on ne sait pas bien ce qu'est la technologie.

La science ? C'est la recherche des mécanismes des phénomènes par une méthode qui consiste à identifier les phénomènes, à les caractériser quantitativement, par des nombres, des mesures, à réunir les données en équations nommées lois, puis à introduire des concepts nouveaux, compatibles avec toutes ces équations pour former des théories, théories dont on cherche des conséquences théoriques que l'on teste expérimentalement, en  vue de réfuter nos propres théories, de les améliorer.
L'objectif est clair, la méthode, c'est-à-dire le chemin, l'est aussi. Et tout ce qui détourne le scientifique de son chemin, tout ce qui ne fait pas partie de la description précédente, compromet la réussite de ce projet scientifique. Les grands scientifiques du passé se sont largement exprimés à ce propos : "Y penser toujours", recommandait Louis Pasteur.

Pour la technologie, maintenant, l'objectif est bien différent, puisqu'il s'agit de trouver des applications des connaissances scientifiques, de parvenir à mettre ces connaissances en œuvre, pratiquement, pour arriver à des résultats concrets.
Et c'est ainsi que les ingénieurs fabriquent -merveilleusement : ne soyons pas blasés !-  des fusée, des avions, des ordinateurs, des médicaments, des cosmétiques... Faire ces produits de façon moderne, innovante, impose de très bien connaître les résultats des sciences de la nature, mais l'objectif est alors bien différent : il ne s'agit pas de produire ces résultats, ce qui prendrait du temps à la recherche des applications, mais seulement   d'en avoir connaissance et de chercher à les appliquer.
Il y a donc là une destination différente de celles des sciences, un objectif différent, et toute seconde détournée de ce chemin-là compromet la possibilité d'atteindre l'objectif technologique, que ce soit des tracas familiaux, de santé, ou des errements dans des travaux scientifiques au lieu d'être technologiques.  

Autrement dit, le scientifique ne peut pas perdre son temps à faire un autre métier que le sien, et l'ingénieur non plus. Les deux doivent certainement se parler, mais sans confondre leurs objectifs, puisque ces objectifs sont différents.
D'ailleurs, certaines grosses  sociétés l'ont compris puisque, ayant quelque temps payé  des services de recherche scientifique, elles les ont finalement fermés pour ne garder que les services de "recherche et développement" : cette terminologie anglicisante signifie  recherche d'applications et mise au point ; pas recherche scientifique ! D'ailleurs, ces sociétés ont eu raison de comprendre qu'elles ne faisaient pas leur métier, qu'elles ne pouvaient pas produire de la science, car les conditions différaient trop de celles de la production scientifique, les évaluations des personnes ne pouvaient se faire de la même façon que pour les ingénieurs ; bref, c'était une autre culture, d'autres objectifs, d'autres chemins.

Oui, même si  le prix Nobel couronne à la fois des travaux scientifiques et des travaux technologiques, il y a lieu de nous souvenir de Louis Pasteur, qui fut un excellent chimiste, au sens scientifique du terme... avant de changer de voie pour la technologie. C'est lui-même qui l'a écrit, quand il critiquait l'expression fautive de "science appliquée" : non, il y a de la science, et des applications de la science, et il n'y a pas de relations entre les deux. D'ailleurs Pasteur signalait lui-même qu'il s'était résolu à se consacrer finalement aux applications de la science parce qu'il y voyait une "utilité" plus immédiate de son travail.



jeudi 3 décembre 2020

Les matières intellectuelles doivent se donner en spectacle

 

Depuis hier, une idée relative aux études (supérieures, mais pas seulement) s'impose à moi avec une force croissante : pour faire aimer les études, pour aider nos jeunes amis à mieux étudier, nous devons y mettre du nôtre,  faire apparaître aussi clairement que possible des  plaisirs aussi intenses que ceux que trouvent dans les jeux de cirque certains de nos concitoyens. Sans cet effort particulier, nous échouerons.

L'idée doit évidemment être creusée. Pourquoi nos amis vont-ils plus facilement vers du  football, du tennis, du cyclisme ou du rugby que vers de la synthèse organique  ou des équations aux dérivées partielles ? Dans les jeux sportifs, il y a des regroupements d'êtres humains en grand nombre, des possibilités d'identification à des personnalités "dominantes", des péripéties, et, surtout, beaucoup de mouvement. Or, pour les études, nous montrons le contraire ; nous proposons à nos jeunes amis des travaux solitaires, calmes, monotones, avec une beauté qui se conquiert difficilement. Tiens, un exemple, le calcul de l'intégrale de la fonction gaussienne par Euler : c'est évidemment très intelligent, mais réservé à quelques heureux élus, quand c'est dans le fil d'une démonstration !
 

Bref, nous allons dans le mur si nous ne changeons pas, car nous ne pouvons pas lutter contre l'animalité qui est dans tout être humain, membre d'une espèce sociale qui, de ce fait, veut -biologiquement- s'agréger. Nous allons dans le mur si nous ne mettons pas de mouvement, de péripéties ! D'ailleurs, Jean de la Fontaine le disait bien quand il écrivait "Si Peau d'Âne m'était conté, j'y prendrais un plaisir extrême" : oui, il y a  lieu de raconter des histoires, parce que, là au moins, nous susciteront ces péripéties qui s'imposent.
D'ailleurs, n'oublions pas que  les cours du physicien Pierre Duhem (1861-1916) étaient suivis par le Tout Bordeaux  : oui, le grand public bordelais allait écouter un physicien, et  à l'université ! Comme on va au spectacle. D'ailleurs, cet exemple n'est pas une exception : Camille Flammarion attirait les foules ;  la "gentry" londonienne allait écouter Humphry Davy à la Royal Institution of London, avant que Michael Faraday n'y attire les altesses autant que les orphelins. Dans tous ces cas, il y avait du spectacle, du mouvement, de la socialité... et nous ne devons pas l'oublier paresseusement ; c'est avec fougue que nous devons montrer les avancées des sciences, non seulement au public qui les finance, mais à tous les étudiants.
Je retrouve, soit dit en passant, des considérations que j'avais développées il y a quelque temps, mais je comprends mieux combien s'imposent les  cours magistraux : ils doivent réunir tout le groupe, et être... magistraux ! C'est là, le moment précieux pendant lequel nous devons faire du spectacle, lever des montagnes,  donner un immense enthousiasme, susciter chez nos interlocuteurs l'envie de parcourir ensuite un chemin qui aura été décrit lors du cours magistral.
Là où je m'était sans doute trompé, c'est quand je considérait que le chemin suivant ce départ en fanfare devait être fait de façon solitaire. Certes, pour ce qui me concerne, j'ai besoin de calme, de mon rythme... Je marche à mon pas et je suis heureux d'admirer le paysage, de savourer la promenade... mais je ne suis pas "dans la cible", puisque précisément, je suis de ceux qui n'ont pas besoin d'un professeur, de ceux qui ne vont pas au spectacle... En revanche, pour nombre de nos amis, il faudra ensuite organiser des chemins avec des péripéties, avec du mouvement, en groupe.

mercredi 2 décembre 2020

Oui, décidément, pas de sciences de la nature modernes sans "calcul" !

 Une discussion

Alors que j'expliquais que les sciences de la nature sont "d'abord du calcul", je reçois plusieurs commentaires à mon billet, dont celui-ci :

Je ne suis pas complètement d'accord avec vous. Les sciences de la nature ne sont pas essentiellement du calcul. Les sciences (et vous en serez je pense d'accord) sont d'abord de l'observation, puis de la modélisation, puis, au bout du compte, effectivement, du calcul.
Mais, à mon sens, l'étape "calcul" est loin d'être la plus intéressante. La meilleure preuve est que c'est celle qui est la plus facilement automatisable ou, pour le dire brutalement, celle qui est le plus facilement réalisable par la stupidité artificielle.


J'aime beaucoup quand des amis ne sont pas d'accord avec moi, parce que cela me montre soit que je me trompe, soit que je me suis mal expliqué. Dans les deux cas, j'ai une piste pour m'améliorer.

Ici, je crois que j'étais insuffisamment clair... mais je crois aussi que mon ami est un peu dans l'erreur, comme je vais essayer de l'expliquer.

Tout d'abord :
1. je distingue les mathématiques et le calcul. Les mathématiques, ce n'est pas du calcul, mais... des mathématiques, c'est-à-dire l'exploration du monde mathématique, des structures mathématiques... Un travail de mathématicien, bien difficile à définir (on a parfois dit en souriant "c'est ce que font les mathématiciens"), mais avec un objectif qui n'est pas celui des sciences de la nature, lesquelles cherchent les mécanismes des phénomènes. Et je nomme calcul l'usage des mathématiques.

2. je dois répéter que, pour les sciences de la nature, l'objectif est donc de chercher les mécanismes des phénomènes, mais il faut ajouter que cela se fait par une méthode bien particulière :
1.  Identifier les phénomènes, les mettre en évidence,
2. Puis les caractériser quantitativement, les mesurer, les "nombrer"... ce qui se fait parfois en même temps que l'identification précédente, mais qui, en tout cas, produit des quantités considérables de nombres, de résultats de mesure... Or que fait-on avec des nombres ? Des calculs, bien sûr !
3. D'ailleurs, c'est bien la troisième étape, qui consiste à synthétiser les mesures, à regrouper les données en  équations nommées "lois"... et l'on voit ici le calcul apparaître. Pas le calcul en termes d'additions, de soustractions, etc. mais en termes d'équations qui sont le plus souvent des équations aux dérivées partielles, notamment. Ce n'est pas du calcul, cela ?
4. Ayant ces équations, le travail est loin d'être terminé, puisqu'il faut faire maintenant quelque chose de particulièrement délicat, à savoir "induire" des théories, c'est-à-dire introduire des concepts qui donnent, avec l'ensemble des équations pertinentes, un cadre qui s'apparente à ces fameux mécanismes que l'on cherchait. D'ailleurs, il y a lieu d'ajouter que les notions introduites doivent être compatibles quantitativement (du calcul, vous dis-je) avec les équations qui composent la théorie.
5. Une fois cette théorie proposé, ce qui n'est pas facile, loin de là, il y a lieu de chercher des conséquences de la théorie proposée, de faire des déductions, en quelques sorte.
6. Puis vient l'étape qui consiste à  tester expérimentalement ces conséquences que l'on avait tirées de la théorie. Tester, cela signifie certes de faire une expérience, mais, surtout, de voir l'écart quantitatif -j'insiste- l'écart à la théorie, c'est-à-dire aux lois, aux équations.

Oui, les sciences de la nature sont, au total,  une activité merveilleusement  "complète", qui joint l'expérience au calcul. Mais pas au calcul simplet que l'on pouvait me prêter. Non, nous mettons des calculs bien plus complexes, dont on aura un avant-goût si l'on sait qu'Albert Einstein avait dû faire appel à son ami mathématicien Marcel Grossmann pour l'introduction des tenseur qui ont correspondu à la théorie de la relativité générale. Ajoutons que ce qui est dit ici d'Einstein, à la pointe du calcul du 20e siècle, pouvait se dire de Galilée, qui vivait à une époque où le calcul différentiel et intégral était à peine développé !   A une époque où le savait pas résoudre des équations du troisième degré ! Oui, Galilée, ou Newton,  par exemple, utilisaient les calculs les plus avancés de leur époque.  des ressources mathématiques exceptionnel pour son époque.

Et aujourd'hui ? Regardons la science moderne, et pas celle du passé. On y voit de la physique, qui, par exemple, cherche à immobiliser des atomes : à cette fin, les physiciens doivent utiliser  le formalisme de la mécanique quantique comme chante un rossignol. Regardons la chimie  : là, des calculs avancés, avec des ordinateurs, permettent de simuler le mouvement des atomes ou molécules, ou encore peuvent déterminer les interactions entre molécules voisines. La biologie ? Tout récemment, des programmes d'intelligence artificielle ont presque réussi à calculer - j'insiste : calculer- le repliement d'une protéine.
 
On le voit : la science moderne est bien loin d'une simple expérimentation comme on les montre dans ce merveilleux Palais de la découverte, et le calcul est partout. Oui, il y a lieu d'expérimenter, à plusieurs étapes du cheminement scientifique, mais mêmes ces expérimentations sont guidées par le calcul. Nous ne sommes plus à  la Renaissance !
Bien sûr, il faut aussi de la "dextérité", de l'ingéniosité, du Fingerspitzengefühl (l'intelligence du bout des doigts), mais tout cela se fonde sur des calculs. Bien sûr, il faut savoir aligner des miroirs sur un banc optique, préparer un montage de chimie pour éviter la moindre trace d'humidité ou d'oxygène, parfois, mais les raisons de ces gestes sont calculées. Et il ne faut pas confondre technique et science.

Vraiment, si je me suis insuffisamment expliqué dans mon précédent billet, je ne crois pas m'être trompé !

Quel métier auras-tu si tu étudies les "sciences et technologies de l'aliment" ?

science/études/cuisine/politique/Alsace/émerveillement/gratitude

 

 

 Quand je dois expliquer la même chose plusieurs fois, je comprends qu'il y a lieu de le mettre par écrit, pour tous.
Or c'est un fait que je vois de (trop ?) nombreux  étudiants engagé dans des cursus de sciences et technologies de l'aliment sans avoir fait le choix de la direction précise où ils veulent aller, &, de ce fait, sans avoir de réelle motivation à se doter de compétences particulières, qui leur seront utiles pour l'exercice de leur métier.
Certains me disent  vouloir faire « de la recherche », mais, quand je creuse un peu, quand je les interroge, je constate qu'il n'ont pas d'idées précise de ce que cela signifie : ils confondent  sciences de la nature, technologies & techniques, & ils oublient que  le mot "recherche" peut s'appliquer à de très nombreuses activités différentes : la recherche artistique, par exemple, pour prendre le plus éloigné de ce à quoi ils pourraient penser. 

Certains, face à cette imprécision, disent que non, c'est à la recherche scientifique qu'ils pensent... mais ils ne savent pas que les sciences de la nature sont en réalité des maniements de "théories scientifiques", à savoir d'équations... & quand on le leur explique, alors ils voient la contradiction avec leur refus des "mathématiques" (puisque c'est ainsi qu'ils nomment le calcul).

Bref, il y a lieu de bien préciser les choses, puisque les cursus "sciences et technologies des aliments" ne le font pas, & que, au contraire, ils laissent planer une confusion qui n'a qu'un avantage : laisser aux étudiants la possibilité de changer d'avis jusqu'au dernier moment (la fin du Master 2), à propos de leur orientation.

Mais, j'y reviens, je crois utile de bien séparer la technique, la technologie, & la science de la nature, &, surtout, de dépasser les fantasmes, en montrant l'utilité sociale de chaque possibilité, ses avantages intrinsèques, extrinsèques, concomitants ! Il y a lieu, aussi, de faire régner un principe de réalité... qui commence par dire que l'emploi se trouve d'abord, principalement, essentiellement, dans l'industrie, l'artisanat.

Même mieux, il y a lieu de bien présenter les faits... en commençant par s'émerveiller sur notre système alimentaire national... qui procure des aliments au plus grand nombre (bien sûr, on peut améliorer, mais commençons par bien regarder) à n'importe quelle heure du jour ou de la nuit.
Vous êtes-vous demandé par quel miracle on trouve des barquettes de poisson en sauce dans n'importe quelle épicerie,  à toute heure du jour ou de la nuit ? S'interroger permet ipso facto de voir des possibilités d'emploi enthousiasmantes, &, partant, des compétences à obtenir pour y postuler.

Commençons par observer que certains critiquent l'industrie alimentaire... mais que la seule présence de ce poisson dans les commerces est la preuve que les citoyens le réclament. Si ce poisson n'était pas acheté, l'entreprise qui le fabrique ne le ferait pas. Critiquer l'industrie, en l'occurrence, reviendrait à avoir une position très supérieure, paternaliste, & critiquer l'ensemble des acheteurs. Sommes-nous nous-mêmes assez bon citoyens pour le faire ?


D'autre part, en termes de qualité, il y a peut-être à reconnaître que ces produits sont d'excellentes qualité ! Aucune cuisinière, aucun cuisinier domestiques n'a les préoccupations -et les compétences- nutritionnelles ou toxicologiques, ni les souvent compétences artistiques, pour faire mieux que ce poisson en sauce ! Bien sûr, il y a quelques nantis qui feront mieux, mais regardons bien, avant de juger trop vite. Et même moi qui m'efforce d'introduire la formation à la cuisine à l'école, parce que je ne veux pas laisser le citoyen livré à l'industrie, je me vois une obligation de prudence, sans idéologie.
Bref, regardons le rayon de notre commerce, et faisons un calcul d'ordre de grandeur salutaire. Imaginons qu'il y ait 5 barquettes proposée dans ce petit commerce parisien, plus 5 autres barquettes dans la réserve : cela fait 10 barquettes. Il y a dans un petit périmètre d'un arrondissement une cinquantaine de commerces de ce type, ce qui fait 500 barquettes,  et il y a 20 arrondissements, ce qui fait 10 000 barquettes dans Paris intra muros. Multiplions pas 10 pour la région parisienne, et nous obtenons 100 000, et multiplions encore par 10 pour avoir la France tout entière, et nous arrivons à 1 000 000 de barquettes en circulation. Avec une rotation d'une semaine environ.
Si une barquette contient 100 grammes de poisson, cela fait 100 millions de grammes, donc 100 000 kilogrammes de poisson.
D'où vient ce poisson ? Pas de la rivière d'à côté ! Il aura manifestement fallu que l'entreprise ait un service des achats extrêmement organisé avec des acheteurs, qui iront dénicher les produits dans le monde entier, qui sauront contracter avec les fournisseurs.
Puis, comme l'entreprise ne peut se permettre de cuisiner des produits avariés, par exemple, ou contaminés (par des ions lourds, par exemple), le service des achats devra être en relation étroite avec un service d'analyse, où l'on mesurera des paramètres physiques, chimiques, microbiologiques. Là encore, de l'emploi possible !
Et ces poissons devront être acheminés dans les meilleures conditions... car nous savons tous que c'est une denrée fragile, que la chaîne du froid ne peut être rompue sans risque ! Il faudra donc un service logistique très organisé. D'autant que le poisson n'est pas tout ! Il faudra faire la sauce, avec des ingrédients (légumes, assaisonnements, etc.) qui posent chacun des problèmes particuliers. Bref, là encore, des compétences très spécifiques.

Maintenant il s'agit de savoir ce que l'on va cuisiner, et, là, il y a manifestement un service de "recherche et de développement". Oui, recherche, parce que l'on s'interroge sur la production... en tenant compte de tous les paramètres à prendre en compte quand il s'agit d'aliment : goût, microbiologie, chimie, conservation, etc. Et "développement" : ce mot est un abominable anglicisme qui signifie mise au point : cela ne suffit pas de vouloir produire d'une certaine façon, et il faudra trouver comment le faire, pour extrapoler de la cuisine à l'usine.
Oui, en partant de la cuisine : les entreprises alimentaires emploient des cuisiniers... et des ingénieurs dans le même service, car s'il est clair que l'on doit savoir ce qu'il y a dans la recette, s'il faut des cuisiniers pour assurer la question "artistique" (le bon, c'est le beau à manger), il faut aussi des ingénieurs, car on ne peut pas cuisiner 100 000 kilogrammes de poisson de la même façon que l'on ferait un poisson pour sa famille.
Il y a donc lieu de se poser des tas de questions pour automatiser un peu le procédé. Considérons l'exemple du simple ajout d'une feuille de basilic sur une pizza. Supposons que l'on produise déjà la pizza, que toute la chaîne de production soit très organisée, que l'on sache déposer la quantité exacte de sauce tomate sur la quantité exacte de pain, que l'on sache faire lever la pâte de la bonne façon, que l'on sache la cuire correctement. Mais imaginons maintenant que, pour des raisons d'innovation, on veuille ajouter une simple feuille de basilic. On ne peut pas imaginer une seconde que quelqu'un va déposer des feuilles de basilic sur les pizzas qui sortiront à la chaîne ! Il faut donc trouver un moyen différent et, mieux même, un moyen qui permette de produire toutes les pizzas au rythme voulu...  car on se souvient que, au début de notre calcul d'ordre de grandeur, nous avons indiqué  que cette production est une production hebdomadaire.
Bref, comment ajouter du basilic ? Ajoutera-t-on des feuilles de basilic broyées ? Ce n'est pas si facile, car les tissus végétaux broyés noircissent, et personne ne voudra d'une pizza où il y aurait une tache noire par-dessus. Ajoutera-t-on un aromatisant basilic ? Il y a alors tout de suite une série de contraintes réglementaires, légitimes certes, mais qu'il faudra connaître et respecter, sans compter qu'il faudra apprendre à doser ces aromatisants, à apprendre à les ajouter à un moment particulier de la production (on sait que les composés odorants s'évaporent, de sorte qu'ils risquent de disparaître si on les met trop tôt, au cours de la production)...  Bref l'entreprise aura besoin de personnes extraordinairement compétentes pour préparer les recettes de façon réaliste, industrialisable, approprié, réglementairement appropriée... Et j'insiste : il y a là de véritables compétences, car il y a de véritables difficultés.

Maintenant, il faut faire marcher l'usine, et il y a donc là toute une série d'équipes qui s'intéressent au procédé de fabrication, aux machines qui produisent. Il faut chauffer, couper, broyer,  couler, filtrer, etc.,  et l'usine est comme un immense mécano qu'il s'agit de faire fonctionner. Il faut des électriciens, des hydrauliciens, des thermiciens... Là encore, il y a des questions très difficile, et je me souviens  par exemple avoir réglé le problème d'une entreprise qui faisait des croissants en nombre considérable... et qui voyait de petites cloques sur la dorure de ses produits. Comment les supprimer, en vue d'obtenir de meilleurs croissants ? D'où venaient ces cloques ? Comment changer le procédé pour les faire disparaître ? Là encore, il faut des ingénieurs compétents. De l'emploi, encore de l'emploi, pour des individus qui contribuent à la bonne marche de l'entreprise. Des gens utiles ! Grâce auxquels l'entreprise se développe, et paye chacun de ses employés à la fin du mois, ce qui fait vivre des familles !

Mais nous n'avons pas fait le tour de la société, car le travail n'est pas fini : il faudra contrôler les produits qui seront fournis, tout comme on avait  contrôlé les produits qui étaient arrivés dans l'usines,  les ingrédients. Imaginons que l'on produise des yaourts et que ces yaourts soit dits aux clients de 60 grammes. Alors les clients seraient en droit d'attaquer la société si le pot qu'ils ont acheté ne contenait que 50 grammes de yaourt. Il y a donc des mesures physiques, parfois simples, parfois compliquées, à effectuer. Et là c'est le service qualité, qui en est chargé. Ce service est chargé tout aussi bien de ces mesures physiques que des mesures chimiques, telle des dosage de certains composé, des mesures microbiologiques, car n'oublie pas que les aliments ne doivent pas rendre malades ceux qui les mangent (si on tue les clients, on ferme boutique... en plus d'avoir évidemment fait quelque chose d'épouvantable), et ainsi de suite. Ce service qualité est essentiel, car le succès d'une entreprise, c'est aussi sa réputation, fondée sur la qualité des produits.

Les produits étant fabriqués, il faut  maintenant les vendre : cela, c'est le travail des personnes du service commercial, mais aussi du service marketing. Il faut préparer l'étiquetage, envisager des moyens de faire connaître les produits aux clients...

Bien sûr il y a aussi un service réglementaire, qui doit s'assurer que toutes les étapes du travail se font en conformité avec la loi, la réglementation. Il y a aussi un service financier, une comptabilité ;  il y a un service administratif, avec une direction du personnel, par exemple...

Bref, l'entreprise comporte  toute une série de services, qui ont chacun besoin de compétences.
De sorte que, ayant maintenant cette image plus claire devant les yeux, nos jeunes amis peuvent se demander à quel endroit ils peuvent être utiles, et quelles compétences ils doivent avoir pour postuler à des postes dans ces services : un ingénieur thermicien doit connaître la thermique ; un technicien de formulation doit être capable de faire une formulation ; un  ingénieur d'analyse doit savoir faire des analyses...

A ce stade, je conseille aussi à mes jeunes amis de se renseigner pour savoir quelle est la vie quotidienne, du matin au soir, sans fantasme, en pratique, des personnes des différents services, pour savoir si cette vie leur plairait. Je dis cela parce que je vois trop de réponses du style "je ne veux pas faire quelque chose de routinier". Dont acte... mais ceux qui disent cela savent-ils que les bons musiciens s'entraînent dix heures par jour à faire précisément toujours la même chose ? Savent-ils que le bons scientifiques sont ceux qui ne cessent de faire "la même chose" ? Savent-ils que les bons athlètes sont ceux qui répètent sans se lasser le même geste, pour être capable de bien le faire ? Au fond, répétons à nos amis que vitas brevis, ars longa : il faut répéter & répéter, pour devenir compétent ; peut-on vraiment croire que les dilettantes arrivent à quelque chose ?
 

Mais on me connaît, je ne vais pas rester sur une note négative... & je veux, au contraire, voire dans la description que j'ai faite des perspectives enthousiasmantes, utiles, pour des jeunes amis qui apprendront sans cesse à faire mieux : au fond, ce sont ceux-là qui m'importent !