dimanche 15 novembre 2020

Guy Ourisson, à propos de Laurent Schwartz, à propos d'universités : ici, à propos de sélection 5/X

 La démocratisation grâce à la sélection

Abordons donc ce point-clé : la sélection. Alors que le projet de loi dit exclure "toute sélection", Laurent Schwartz intitule deux de ses chapitres "Pour la sélection" et "Comment organiser la sélection". Le divorce est patent.
De fait, il me semble catastrophique que certains amendements de l'Assemblée, par dogmatisme ou par démagogie, aient émasculé les propositions initiales du ministère. Pour la première fois, il était courageusement proposé de distinguer le droit à l'orientation sans sélection, en premier cycle, et la capacité à poursuivre des études longues, ou spécialisées, en second cycle, en fondant cette sélection sur un concours ou un examen de dossier, et en tenant compte des capacités d'accueil et des perspectives d'emploi. Cette possibilité susbiste, sans doute, mais elle exige, dans le texte actuel, un décret "après avis du CNESER". Certes, le CNESER a l'habitude, depuis 15 ans, que ses avis ne soient pas toujours suivis, et heureusement Laurent Schwartz  a fait erreur en lisant "après approbation par le CNESER", là où seul un avis est prévu. Mais enfin, au lieu d'une régulation normale, on aura une procédure lourde, qui restera sans doute exceptionnelle. C'est un point important et concret de désaccord. Mais il est curieux de constater que les suggestions de Laurent Schwartz peut "organiser la sélection" sont dans une très large mesure celles-là que prévoit la loi, ou plutôt qu'elle autorisera si elle n'est pas bridée dans les textes d'application. En particulier, sa formule, en italique dans son texte : "Tout élève qui a passé son baccalauréat dans l'académie X (doit avoir) le droit d'entrer dans au moins une des universités de cette académie" ressemble comme une soeur (fluette) aux dispositions de la loi. Laurent Schwartz lit d'autre part dans la loi une pression pour que l'étudiant s'inscrive dans son académie, sans mobilité. Je lis et relis l'article 12 : je crois que Laurent Schwartz y a lu ce qui n'y est pas dit mais qu'il sait : que de toute façon il sera difficile de faire se déplacer des étudiants de premier cycle (c'est de ceux-là qu'il s'agit) à moins que ne deviennent disponibles des bourses suffisantes ! Quant à la formule de Laurent Schwartz, pour insister sur la liberté de sélectionner leurs étudiants qu'il souhaite voir accorder aux établissements,  ("il faut que tout élève ait le droit  de choisir son université pourvu qu'elle l'accepte") j'avais cru comprendre ce que cela veut dire, mais une amie chère m'a convaincu que dans la vie de tous les jours c'était une évidence, ou un non-sens ; pour vous en assurer, transposez, p.ex. en termes, disons d'affection. Redevenons sérieux pour un sujet qui l'est fort. Je pense que, si des dispositions réglementaires ne viennent pas introduire des rigidités supplémentaires, même le texte actuel relatif au premier cycle permettra aux établissements qui le voudront d'introduire une forme efficace de sélection ; par exemple, l'université X pourra parfaitement accepter d'inscrire tous les candidats à un cycle d'orientation, mais n'en inscrire que 50 dans un premier cycle voisin exigeant des moyens matériels précis (que ce soient des ordinateurs, ou des places d'atelier, ou des caméras de télévision), et exigeant des qualités précises (comme un certain niveau de mathématiques, ou un minimum de connaissances artistiques, ou certaines aptitudes physiques, etc.). Bref, je crois que le texte actuel de la loi, en voulait "exclure la sélection", mais sans oser la définir, devrait permettre bien des expériences. Je le crois et je le souhaite. Mais au fond, je crains, comme Laurent Schwartz, que ce ne soit pas le cas, et je sais que la méthode qui sera utilisée pour le rendre impossible sera tout simplement d'introduire la rigidité nécessaire dans les décrets d'application. J'espère donc, connaissant le profond libéralisme du ministre actuel, que les décrets ne rendront pas encore plus difficiles de faire les quelques expériences qui, réussies, démontreraient qu'il est possible sans brimer les étudiants, mais au contraire pour les aider, d'organiser une "sélection-orientation" efficace. Ce concept, que développe Laurent Schwartz, avait été largement utilisé dans les documents de la Commission Jeantet, préparatoires à la loi.
L'objectif ne doit pas être seulement de permettre que nos collègues chargés des premiers cycles assurent un enseignement efficace (encore que ce soit là un but louable), mais surtout, comme le dit Laurent Schwartz, la sélection est une condition de la démocratisation réelle, si elle permet d' "aller chercher les gens" pour leur rendre possible de faire mieux que ce qu'ils auraient fait sans incitation : c'est la démocratisation qu'ont réussi, en gros, les IUT grâce à la sélection.

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