samedi 7 novembre 2020

A propos d'"aromatisant poivre"

Merci à mon correspondant de ce matin qui m'écrit :

Je vois sur ma moutarde : arôme naturel de poivre : c'est de la pipérine extraite ?

Car cette question permet d'éclairer mes amis.

 
1. On voit tout d'abord que je retranscris sa question, pour ne pas parler d' "arôme", comme il le fait sans doute parce que l'étiquette porte cette mention.
En effet, j'invite tous mes amis à lutter contre ce gauchissement trompeur du mot "arôme".
L'arôme, en bon français (la langue qui sert aux échanges, notamment aux échanges commerciaux, et qu'il est honteux de tordre) est l'odeur d'un produit aromatique. Or ce qui est ajouté dans la moutarde, ici, ce n'est pas l'arôme, mais un produit qui donne l'odeur/la saveur/le piquant de moutarde. C'est un aromatisant, et pas un arôme !

2. J'invite aussi mes amis à lutter cet usage malhonnête du mot "naturel",  car l'aromatisant qui a été ajouté est parfaitement "artificiel" : je rappelle que, en français, est naturel ce qui n'a pas fait l'objet de l'intervention d'un être humain !
Ici, il faut donc parler d'aromatisant extrait d'un végétal. Un point c'est tout. Comment voulons-nous que les citoyens aient confiance dans l'industrie alimentaire si celle-ci leur ment dès l'étiquetage !

3. Mais pour répondre à notre ami, il faut maintenant expliquer qu'il existe des aromatisants extraits de diverses façons :

On peut, par exemple, récupérer des "huiles essentielles" par expression ou par entraînement à la vapeur.
Cette dernière technique est utilisée dans la fabrication des essences d'agrumes dont l’écorce contient d’importantes quantités d'huiles essentielles stockées à l'intérieur de sacs oléifères. Le principe de l'extraction par expression consiste à rompre ces poches à huiles essentielles pression, incision ou abrasion à froid. L'huile essentielle entraînée par un courant d'eau est ensuite séparée par décantation ou centrifugation.
En général, seules certaines parties de la plante sont extraites : racines, rhizomes, bois, écorces, feuilles, fleurs, boutons floraux, fruits, graines, jus de fruit, ou excrétions de la plante (gommes ou exsudats).
Pour qu'il soit intéressant d'extraire l'huile essentielle d'une plante par entraînement à la vapeur d'eau, il faut que cette huile soit en quantité notable, généralement supérieure à 0,5%, dans la plante fraîche ou séchée. Par exemple, le poivre contient 1 à 2,5 % d'huile essentielle en volume par rapport à 100 grammes de poivre.

Mais on peut aussi produire des oléorésines : concrètes et résinoïdes.
Cette fois, les extraits sont obtenus à l'aide de solvants organiques : éther de pétrole, hexane, éther éthylique, alcool éthylique, acétone, dioxyde de carbone, etc.
Les oléorésines sont plus complexes que les huiles essentielles, car elles contiennent non seulement les composés volatils, mais aussi d'autres constituants non entraînables par la vapeur d'eau (triglycérides, cires, colorants de nature lipidique et composés sapides). Notons que le solvant est évidemment éliminé : la plupart des solvants utilisés font d’ailleurs l'objet d'une réglementation stricte dictée par des considérations de santé. Au cours de l’élimination du solvant par distillation sous pression réduite, on s’attache également à limiter la perte des composés les plus volatiles.
Par cette méthode, on fabrique deux types de produits :
- les concrètes,  à partir de substances végétales fraîches
- les résinoïdes,  à partir de substances végétales sèches.
Le terme "oléorésine" désigne l'un ou l'autre de ces deux types d’extraits. Mais, surtout, il faut bien insister : ces divers extraits sont tous de compositions différentes, donc de goûts différents !

Il y a encore d'autres techniques, pour préparer des extraits:
- la macération à froid,
- la digestion à chaud,
- la percolation à froid ou sous pression,
- l’infusion à chaud ou à froid.

Notons que les extraits bruts peuvent être "fractionnés" par diverses techniques, telles que cryoconcentration, distillation sous pression réduite, ultrafiltration, osmose inverse, etc...). On obtient alors  des produits variés
- des absolues,  par lavage à l'alcool suivi de l'élimination de l'alcool,
- des essences solubles,
- des essences fractionnées
- etc.

4. La pipérine, maintenant ? C'est un composé présent dans le poivre, et qui contribue à son piquant. Ce n'est pas le seul, mais il est prépondérant. Et il est peu soluble dans l'eau, mis soluble dans l'alcool, le chloroforme, l'éther ou l'isopropanol, par exemple. C'est un "alcaloïde", car sa molécule contient des "cycles", notamment avec d'autres atomes que du carbone (notamment de l'azote).

5. De sorte que la conclusion s'impose : les données qui me sont fournies (et qui sont celles que notre ami a récupérées sur l'étiquette de sa moutarde) ne me permettent pas de répondre à sa question. Car quelle extrait est-il utilisé ?


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