samedi 25 juillet 2020

Une réponse que je fais à des étudiants

1. Des étudiants avaient analysé le fonctionnement de leur institution de formation, leurs relations avec leurs professeurs, et ils avaient émis un document que j'ai largement analysé dans des billets précédents.
Surtout, je leur avais écrit pour leur dire combien je jugeais leur démarche utile, à poursuivre, et ils s'étaient étonnés que je leur réponde.

J'ai donc répondu à leur réponse :


Chers collègues
Vous ne vous attendiez pas avoir un retour personnel de la part d'un professeur ? Il est vrai que c'est un peu par hasard que vous l'avez, puisque, en réalité,  j'avais vu traîner une copie imprimée de votre document initial, et c'est par une espèce de curiosité mal placée que j'ai vu que vous évoquiez des questions qui me passionnent depuis des années.

Le débat terminologique qui consiste à savoir s'il faut parler d'étudiants, ou de collègues (jeunes, moins jeunes, etc.), ou même d'amis va bien au-delà du clin d'œil, car je suis resté en réalité un étudiant, qui étudie exactement comme je le faisais à l'ESPCI, avec la même fougue, la même passion, la même curiosité, la même naïveté, le même enthousiasme, et la même envie de partager  avec mes amis ce que je découvre... tout comme je l'étais alors (et je me souviens que le corps professoral me trouvait "remuant", dirions-nous par litote).

Mais, surtout, je me suis toujours indigné des mauvais professeurs... Pas seulement ceux qui nous négligeaient, qui considéraient leur mission comme une "charge", mais aussi ceux qui étaient "techniquement" incapables,  ceux qui ne maîtrisaient pas leurs sujets... Ce sont ceux-là qu'il faut empêcher de nuire.

Mais soyons positifs, car s'il y a de mauvais professeurs, il y en a aussi de bons. Que faisons-nous pour les uns et pour les autres ? Comment nous adaptons-nous à des situations notoires ?  Que fait l'institution  pour ne pas punir les élèves en leur infligeant du médiocre... tout en considérant qu'il y a aussi des élèves qui posent des problèmes ?

Là encore, je propose de sortir de la discussion par le haut, en ne restant pas braqués sur des situations particulières, trop nombreuses pour mériter un traitement général, mais en inventant des formes d'études nouvelles.
C'est ce que j'ai fait  à l'Institut des hautes études de la gastronomie, où les auditeurs (qui payent) évaluent les professeurs ; et pour ne pas mettre de bons intellectuels/mauvais communiquants en situation d'échec, nous innovons dans les formes, avec des visites de Rungis, des promenades dans les vignobles, avec des diners historiques, etc. R
ien de pire que ce format où un professeur isolé est en face d'un groupe d'étudiants, rien de plus clivant : oui, il faut changer cette "lutte des classes.

A minima, il y aurait lieu d'avoir des discussions pour rénover sans cesse les formats d'étude. D'ailleurs, comment supporter que  les  formats d'études ne changent pas ? Le système des études supérieurs aurait-il le privilège d'être le seul qui puisse se fossiliser en toute impunité ?
Et puis, plus positivement, j'ai assez dit que pour le professeur comme pour le cuisinier, l'activité a trois composantes  au moins : technique, artistique, sociale...  mais je vous renvoie, pour ne pas allonger la discussion sur ce point, à mon livre intitulé La cuisine, c'est de l'amour de l'art de la technique.

Bref, vous comprenez que j'avais  un intérêt véritable à vous lire et à vous commenter,  d'autant que vous répondiez à des questions que j'avais posées il y a des années, notamment lors d'un "Débat de l'Agro"...  et je trouve anormal que l'institution n'ait pas répondu à nos remarques d'alors.
J'espère qu'elle saura maintenant répondre... mais j'ai des craintes, car certains de mes collègues plus âgés à qui je m'ouvrais de vos observations ont rétorqué en substance que les élèves font périodiquement ce genre d'observations ; alors...

Oui, mais qu'est-ce qui a été fait pour leur répondre ?   De mon côté, j'ai proposé que l'on mette les individus en face de leurs responsabilités : si les étudiants sont capables d'avoir de l'autonomie, donnons-en leur ! Explorons des formats d'études  nouveaux, explorons l'outil numérique,  multiplions les podcasts si c'est un format qui plaît mieux que les amphis,  et ainsi de suite.
Ne supportons jamais de répéter le même cours deux années de suite, car ce serait la démonstration d'une paresse, d'une incapacité, d'une immobilité coupable ;  cherchons à améliorer sans cesse, non pas tous les dix ans, mais tous les jours !

En suivant votre réponse, maintenant : pour ce que pour ce qui concerne votre document, rassurez-vous  (;-)) :  oui, il en ressort bien que vous critiquez certains professeurs ou, du moins, certains "enseignements" (terme que je récuse, voir les billets à ce propo)s. Et cela ne me choque pas,  car quand la critique est constructive, positive, elle permet l'amélioration.
Ce qui m'inquiète, c'est que vos observations tombent début juillet, et que je pressens des départs vers les plages qui feront retomber le soufflé ! Aurez-vous donné un coup dans l'eau ?

Un détail maintenant :  mon expression "suppression des cours obligatoire" était  fautive  : je voulais dire plutôt "suppression de l'obligation d'assister aux cours" (à l'ESPCI, cette suppression a eu lieu en 1977 !).

Puis, il me semble en lisant votre réponse, mais aussi votre document initial, que la première année d'études après un concours pose une vraie difficulté. Je sais que l'on dit (on le dit, mais faut-il le croire) se remettre lentement de la préparation des concours,  tout comme les jeunes médecins admis après le concours de première année, par exemple.
Mais raison de plus pour y mettre le meilleur du meilleur, en termes d'études ! 

Cela dit, très  honnêtement, je travaille aujourd'hui bien plus que quand j'étais en classe préparatoire, de sorte que le fameux prétexte du relâchement après le concours me fait un peu sourire ! Mais qu'importe : oui, il faut donner un peu d'air (ouvrons la fenêtre vers des sujets passionnants), favorisons la socialisation... sans pour autant tomber dans les beuveries hélas trop courantes parmi les petits esprits.

Surtout pouvons-nous imaginer qu'une année sur trois soit perdue ? Je vous dis cela alors que j'ai été un élève bien dissipé de l'ESPCI, et que, passionné par la chimie depuis l'âge de six ans, je n'ai pas su faire tout mon miel de l'environnement merveilleux qui m'était donné une fois entré à l'Ecole.
Raison de plus pour réfléchir à des moyens d'éviter à d'autres de faire cette même erreur. Et cela de façon positive, sans rétorsion, bien entendu.

D'ailleurs, mon analyse rétrospective me fait souvenir que, malgré des soirées souvent bien "occupées", nous restions passionnés par quelques matières merveilleuses, la théorie de la mesure en mathématiques, les calculs de chimie quantique à l'aide des premiers ordinateurs, la thermodynamique hors d'équilibre...
A nous tous, élèves, professeurs, personnel administratif d'inventer des moyens pour qu'il n'y ait pas une année gâchée sur trois. A nous d'inventer des formes d'étude amusantes, stimulantes, socialisantes même ; à nous d'inventer des organisations pour que le corpore sano vienne avec le mens sana ;  à nous d'inventer des formes d'études qui permettent aux  élèves de s'amuser en étudiants, et aux  professeurs de s'amuser aussi, en aidant les élèves à apprendre... mais on pourrait tout aussi bien dire "pour que les professeurs s'amusent, et les élèves aussi".

En vous lisant à la suite, je vois l'expression "projet professionnel", alors que j'avais écrit "projet personnel".  Nous voulons sans doute dire la même chose, mais je préfère ma formulation, qui ne sépare pas le travail professionnel de la vie, car je déteste l'idée d'un métro-boulot-dodo qui fait toujours apparaître le travail comme une punition. Comme je vous l'ai dit précédemment, mon métier est si passionnant que je n'ai même plus besoin de prendre de vacances. Dans votre document, vous évoquez bien des matières stimulantes intellectuellement, et nous nous rejoignons.

A propos des séances de l'Académie d'Agriculture  : oui, vous avez raison de signaler qu'elles sont souvent passionnantes, car en réalité, elles s'apparentent à des regroupements de conférences de type TED sur un thème  (je le sais, puisque j'en organise). Avec ces séances, nous voulons donner  le meilleur aux auditeurs, et je parle d'auditeurs à bon escient,  car nos séances sont podcastées. Et si nous avons là le meilleur, pourquoi ne pas en faire profiter les étudiants, leur donner ipso facto le meilleur  ? Nous éviterions la critique des "mauvais enseignements" (puisque le meilleur), et il serait facile d'organiser des formats d'études fondés sur le visionnage de ses documents vidéo.

Arrivons maintenant à vos mots à propos de "cursus généraliste"  : je viens de faire un billet où je discute ce terme de "généraliste"... mais, surtout, je fais partie de ceux qui pensent que les ingénieurs ne font bien leur métier que s'ils ont une formation théorique solide (voir l'ESPCI). Cela est également vrai des étudiants qui deviendront scientifiques. Quant à ceux qui seront banquiers, assureurs, voire ministres, ils gagneront à bien connaître les faits sur lesquels ils érigent leurs activités, quitte à ce qu'ils épaulent physique, chimie ou biologie par des matières plus appropriées à leur projet... sans tout confondre : ceux qui veulent faire Sciences Po n'ont qu'à y aller  (et pourquoi pas avec des doubles diplômes ?).

Vous parlez ensuite de la difficulté d'intéresser plusieurs centaines d'étudiants...  mais pourquoi vouloir se lancer dans de vaines entreprises ? Si les goûts diffèrent, n'est-ce pas aller dans le mur que de chercher à leur imposer une unique direction ? C'est le sens de mon analyse sur les "études matricielles", dans un billet précédent.

Et puis, ce qui compte, c'est moins de "recevoir" que d'apprendre : invitons les élèves à créer leur propre chemin, et, surtout, à bien identifier leur projet, en les exposant le plus tôt possible à des sujets variés, qui facilitera leur choix s'il n'est pas fait par avance. Proposons leur des fleurs, afin qu'ils fassent leur propre bouquet, l'institution ayant aidés les individus dans l'art du bouquet.

A propos d'une banque de cours, celle-ci a existé par le passé entre toutes les écoles de ParisTech et c'était absolument merveilleux. Inutile de vous dire que j'y ai largement contribué.
Aujourd'hui nous avons les Cours en ligne d'AgroParisTech (où j'ai personnellement mis des dizaines de cours, en plus de podcast),  de sorte que  l'outil nécessaire pour faire ce que vous demandez et que je propose aussi n'est plus à créer  : il existe !

A propos de parrainage : peut-on trouver 320  parrains ? D'abord, on peut imaginer qu'un même parrain ait plusieurs filleuls, et ensuite, oui : le total des personnes permanentes à l'Agro est supérieur à 320. D'autant que l'on peut sans doute compter sur des chercheurs Inrae dans les UMR, et que l'on pourrait recruter des anciens élèves  ! Soyons inventifs, et trouvons des solutions.

Enfin, les travaux pratiques : je suis certain que, si la chose s'impose, alors elle s'impose. L'intendance doit suivre, et à nous, à nouveau, d'inventer des formes adaptées à nos possibilités.

Bref, je ne vois que des opportunités de faire évoluer des formats qui  sont trop longtemps restés figés : nous sommes à l'ère du numérique, et nous n'avons pas la possibilité de ne pas utiliser ces méthodes pour faire mieux qu'au Moyen Âge.

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