vendredi 21 juillet 2017

La clé de l'innovation alimentaire, pour la partie technique, c'est la physique et les sciences chimiques.

Innover du point de vue alimentaire ?

Les innovations que proposent l'industrie alimentaire sont parfois bien faibles, et ce ne sont souvent que des  variations de systèmes classiques, qui  s'apparentent en réalité à l'empirisme des cuisiniers.
D'ailleurs, les élèves ingénieurs ne sont  pas mieux placés que ces derniers, voire moins bien, car ils sont souvent bien ignorants ce qui s'est déjà fait. Car nos étudiants n'ont pas de connaissances spécifiques pour faire bien, et on n'oublie pas que certains cuisiniers sont des individus de talent, dont le savoir et l'intelligence dépassent parfois largement ceux de nos étudiants… qui n'ont donc que très peu à apporter.

Que  faut-il  à nos étudiants pour être capables pour dépasser l'empirisme, d'une part, et, d'autre part, pour avoir une compétence qui soit réellement supérieure à celle d'un cuisinier (d'un point de vue technique) ?
Dans notre master IPP, à AgroParisTech, nous avons notamment répondu avec une unité d'enseignement qui s'intitule « physico-chimie pour la structuration des aliments », et plus j'y pense, plus cela est légitime, car les aliments sont en réalité des assemblages physico-chimiques, de sorte que leur compréhension, leur construction, leur analyse, reposent sur des connaissances physiques et chimiques. Nous devons comprendre la constitution des composés qui entrent dans la composition des aliments, et nous devons aussi comprendre comment ces composés sont organisés.

La question des forces intermoléculaires est évidement essentielle, et l'on aurait toujours intérêt à se souvenir que ces forces se classent utilement par ordre d'énergie croissante. Les plus faibles sont les forces de van der Waals … qu'il faut donc connaître. Puis il y a les liaisons hydrogène… qu'il faut donc connaître. Puis il y a les ponts disulfure, qu'il faut aussi connaître, et qu'il faut notamment connaître parce qu'ils sont responsables de « coagulations »,  importantes pour la constitution des aliments. Il y a aussi les liaisons covalentes qu'il faut connaître, mais il faut surtout savoir entre quels composés ces liaisons covalentes peuvent s'établir et dans quelles conditions. Enfin il y a les liaisons électrostatiques, qu'il faut connaître aussi, et, là, une connaissance supplémentaire utile est la portée de telles liaisons, en plus de leur intensité.

J'ai esquissé à propos des liaisons covalentes une nouvelle discussion, qui est celle de la compréhension des possibilités de réaction. C'est la nature des composés, leur constitution atomique, qui détermine leur réactivité, de sorte que s'imposent absolument des cours de chimie organique pour nos étudiants ingénieurs.
Mais ce n'est pas suffisant, car la compréhension de la structure physico-chimique des aliments montre bien que la physique est largement à l’œuvre, aussi. Par exemple, la turgescence des cellules de racines de carotte est la clé de leur fermeté, quand ces ingrédients culinaires sont « frais ». Cette fois, il n'est pas question de chimie, mais de physique. De même, la clé de l'amollissement des tissus végétaux chauffés, par exemple des rondelles de carotte dans une casserole, découle également d'interactions physiques en plus des modifications chimiques.
A vrai dire l'échelle des énergies de liaison n'est pas segmentée, avec  d'un côté la physique pour les forces faibles et d'un autre côté les forces fortes pour la chimie. Non, c'est une échelle continue, où il est arbitraire de séparer les liaisons covalentes, à savoir la chimie pour faire simple. D'ailleurs, l'introduction de la chimie supramoléculaire fut exactement l'occasion de reconnaître qu'il y avait des édifices polymoléculaires qui s’apparentaient à la fois à ces édifices atomiques qu'on nomme molécules et à des systèmes plus labiles, tels des cristaux de sucre qui se dissolvent dans l'eau, et qui relèvent de la physique. En réalité, la chimie reconnaît bien que l'échelle des énergies est continue, et elle ne veut pas faire de distinction inutile qui gênerait le raisonnement de l'ingénieur quand il doit constuire des aliments.

Et la gastronomie moléculaire dans tout cela ? D'une part, il faut préciser que cette discipline scientifique n'est pas de la technologie ou de l'ingénierie, mais de la science, c'est-à-dire de la production de connaissances, et plus spécifiquement la recherche des mécanismes des phénomènes qui surviennent lors de la préparation des aliments. D'autre part, il faut signaler que la gastronomie moléculaire explore des phénomènes bien particuliers, et que, à ce titre, elle a toute sa place dans la formation d'étudiants ingénieurs, en cela qu'elle fait apparaître des informations qui seront utiles pour la construction des aliments. C'est bien parce que l'on analyse les phénomènes qui se produisent lors des phénomènes culinaires, de production des aliments, que l'on identifie des mécanismes que l'on peut ultérieurement mettre à l’œuvre lors de la constructions d'aliments par des méthodes qui ne sont plus empiriques.

Oui, la gastronomie moléculaire est une sous-partie de la science des aliments, et oui, elle nécessite des recherches de physique et de chimie. Mais on a plus de discernement, plus de clairvoyance, si l'on ne fait pas un grand sac et si, au contraire, on cherche plus spécifiquement de quelle partie il s'agit. L'ayant expliqué ailleurs, je n'y reviens pas, mais je conclus en répétant combien nos étudiants ont besoin d'une formation de physico-chimie !

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