dimanche 31 janvier 2016

Vraiment, pas de temps pour cela !

Ce matin, un message charmant, de lycéens qui sont venus à mon séminaire  et qui ont apprécié le moment.
Très  bien.

L'ennui, c'est la suite de leur message :
Je rencontre actuellement un problème certain. Suivant vos conseils, je me suis rendu (dans le cadre de mon tpe sur la gastronomie moléculaire) sur le site de moleculargastronomy, et j'ai été intéressé par la recette des "billes surprise", trouvable au lien suivant : http://www.moleculargastronomynetwork.com/193-recettes/Billes-surprise.html . Cependant, ayant bien suivi les consignes et dosages à la lettre, je n'obtiens pas le résultat voulu... Mon bain d'alginate est beaucoup plus opaque, et plus "gélifié et gélatineux" que celui utilisé dans la vidéo. De ce fait (du moins je suppose que c'est à cause de cela), je ne parviens pas a faire se gélifier l'enveloppe des billes congelées. Celles ci se couvrent d'une trop grande quantité de gel, et c'est  un échec.
Comment faire ?
 
Là, désolé,  mais je ne peux  pas passer mon temps à faire le travail que  les autres doivent faire.  La recette donnée par ce site ne donne pas les résultats escomptés ? Il y a des dizaines de milliers (j'ai  vérifié)  de sites qui décrivent la chose, et j'engage donc mes amis à aller les consulter, pour apprendre par  eux-mêmes à résoudre les question qu'ils se posent. 

Cette question  du "ask the expert" se pose partout dans l'enseignement. Oui, on peut toujours essayer de consulter... mais les "experts" y perdent leur temps, leur énergie. La réponse à donner ? La même que  celle du médecin qui, dans un diner, se faisait interroger par un convives sur son état de santé : il répondait "Venez me voir en consultation". 
Dans mon cas, je ne suis pas en reste, avec le blogs bien trop nombreux où je donne des indications techniques ou technologiques. Que nos jeunes amis se retroussent les manches  ! 



vendredi 29 janvier 2016

De la mousse de yaourt ? Facile !



Des étudiants me demandent de les aider à faire une mousse de yaourt. Ils sont allés en cuisine, ont fait des essais, et ne sont arrivés à rien.

Mais, à l'analyse, ils s'y sont très mal pris... parce qu'ils n'ont que très superficiellement utilisé l'organe qu'ils ont entre les oreilles (j'espère) et, surtout, parce qu'ils manquaient de méthode : pour obtenir un tel résultat, il ne faut surtout pas aller en cuisine, mais  faire un travail technologique... qui commence avec le tableau  suivant  :




La question posée  ? Il est facile de remplir le tableau : comment faire une mousse de yaourt ?

L'analyse la question :  l'objectif est donc de faire une mousse de yaourt, mais, avant de nous demander comment faire, nous aurionsintérêt à nous demander ce qu'est une mousse  de yaourt, et  pourquoi faire une telle mousse !
Dans mon cas, après avoir interrogé mes interlocuteurs, j'ai appris qu'un industriel leur avait posé la question... de sorte que leur répondre revenait à donner gratuitement de l'expertise à cet industriel. Pas d'accord, il n'a qu'à payer ! 
En réalité, on voit que je réponds... mais c'est parce que, agent de l'Etat, je veux montrer :
- aux  étudiants qu'il faut de la méthode
- aux  industriels, que la science est la base de l'innovation?
Et je mets l'analyse en ligne afin que les concurrents de l'industriel l'aient également.

Des mousses ?  il y en a d'innombrables, avec des textures différentes, entre le blanc en neige, la crème fouettée, le sabayon, etc. Et s'il y a d'innombrables solutions, il est inutile que  nous nous lancions tête baissée dans la construction d'une mousse particulière, sans savoir  de précisions sur la "commande". La première chose à faire, pour un "bureau d'études" (puisque c'est bien de technologie dont il s'agit), c'est de bien demandder aux commanditaires de préciser leur commande.
Maintenant les étudiants des écoles d'ingénieur doivent savoir que le lait, le blé, le sucre,  sont des fantasmes, en ce sens que le lait est d'abord fractionné, en  eau, matière grasse, protéines sériques, caséines, etc., Le yaourt, de ce fait, est aujourd'hui composé à partir de ces fractions, de sorte que l'idée qui consisterait à foisonner un  yaourt serait naïve, même si l'on a ajouté de la gélatine ou une  des innombrables protéines foisonnantes qui sont à notre disposition. D'abord, le produit  ne serait plus exactement une mousse de yaourt, mais une mousse au yaourt, ce qui nous ramène à la question de la mousse au chocolat et de la mousse de chocolat, le chocolat Chantilly, que j'ai discutée  dans un autre billet.
Faire foisonner du yaourt ? Il y a dans le yaourt tout ce qui est nécessaire pour y parvenir, mais le le problème est surtout de stabiliser la mousse formée, pas de la produire, comme on s'en aperçoit en battant de l'eau pure : on voit des bulles d'air s'introduire, mais elles ne tiennent pas, alors que le blanc d'oeuf, lui,  accepte également les bulles d'air, mais les ne retient, parce que les protéines viennent entourer les bulles.
Dans la crème fouettée, la matière grasse cristallise au froid, et,  quand elle est en quantité suffisante, elle stabiliser la mousse. Toutefois, on peut aussi imaginer des systèmes où des composés forment  un gel "chimique", bien plus stables que des gels physiques. Les possibilités sont innombrables...
La question n'est donc pas de foisonner un yaourt,  mais plutôt de stabiliser la mlsuse obtenue. Quels composés du yaourt stabiliseront-ils la mousse  ?
Et puis ne peut-on pas chercher à obtenir des "mousses de yaourts" à partir des fractions évoquées plus haut, mais en séparant les étapes et en prévoyant immédiatement la stabilisation ?
Supposons que nous partions du petit lait des yaourts, c'est-à-dire de l'eau et des protéines et, plus précisément, de protéines sériques, qui peuvent coaguler. Alors la mousse obtenue pourra être passé au four à micro-ondes, de sorte que l'on déclenchera la coagulation et que la mousse sera stabilisée. Une autre façon consiste à reprendre l'idée de la crème fouettée, mais avec les composés du yaourt, c'est-à-dire essentiellement l'acide lactique obtenu à partir du lactose. On oublie pas que, historiquement, le yaourt a sans doute été une  découverte de nos lointains ancêtres qui, n'ayant pas les gènesdu métabolisme du lactose à l'âge adulte, étaient privés de la possibilité de consommer le lait, donc ont produit des yaourt, des fromages, etc.
Ajoutons (en vrac : on se souvient que je ne suis pas là pour répondre à la question de l'industrel qui n'a rien payé) que l'acide lactique donne un petit goût acidulé et frais, qui est intéressant, mais évidemment ce n'est pas le seul composé à faire le goût des yaourts, car la fermentation par les  deux micro-organismes essentiels utilisés pour faire les yaourts conduit à une série de produits, qui sont soit solubles dans l'eau, soit solubles dans l''huile,  de sorte que l'on peut récupérer les deux fractions pour les ajouter à la préparation finale. Finalement on voit que l'on pourra faire mille mousses de yaourts, avec mille consistances différentes, et mille goût différents. Rien de tout cela n'est difficile, à condition d'avoir bien analysé la chose.

Passons donc maintenant à la troisième ligne du tableau : la proposition de solution. Comme on a vu  qu'une  infinité de solutions étaient envisageables, nous sommes bien en peine de remplir cette ligne, sans indications supplémentaires. D'ailleurs, voici un conseil à mes jeunes amis : ne répondons pas aux questions mal posées. Au minimum, reformulons les questions pour les poser mieux, et répondons à des questions bien formulées.

Vient enfin l'évaluation de la proposition trouvée. Pour ce qui me concerne, elle est faite : j'ai dénonccé un commanditaire qui a passé une mauvaise commande, ce qui est le cas dans nombre de discussions technologiques, et, surtout, j'ai montré le bon exemple à des étudiants.
Mais il manque quand même de leur avoir signalé que la cuisine, c'est de la technique, de  l'art, du lien social.
En cuisine, le "bon", c'est le beau  à  manger... de sorte que nos jeunes amis devraient se rapprocher d'artistes, pour leur projet. Le pire serait qu'ils s'imaginent qu'ils vont être capables de faire "un bon goût" ! En architecture, rien n'est pire que les ingénieurs  qui se prennent pour des architectes  : il faut des artistes pour dessiner... et les ingénieurs seront là pour rendre les dessins possibles, comme cela a été le cas pour la Philarmonie, à Paris, récemment !

Moralité : avant de nous lancer, analysons correctement, méthodiquement, les questions qui nous sont adressées, et ayons suffisamment de culture (scientifique) pour y répondre. Sans quoi, nous ferons comme les étudiants qui m'avaient interrogé, à savoir produire un travail technique qui n'aboutit même pas, et qui, au mieux, est minable gustativement. Bref, j'invite tous  mes jeunes amis à utiliser le tableau précédent avec excès !

mardi 19 janvier 2016

Le nom des nouveaux éléments



Mon ami chimiste toulousain Armand Lattes lance une opération en vue de proposer aux inventeurs de nommer 1 ou 2 des 4 nouveaux éléments à partir des noms de 2 alchimistes parmi les plus connus.


Voici la proposition qu'il a envoyée à l'IUPAC :


Throughout the periodic table no element is called an alchemist! Yet the alchemists had planned (!) the transmutation, although their conception of it has no connection with reality, this idea deserve to be rewarded. I propose to carry out a survey to wish that this omission is repaired by the time 4 new items are recognized. I suggest two options: Flamellium (after Nicolas Flamel), symbol: Fa. and Paracelsium (after Paracelsus) Symbol: Pc.
My preference is to Flamellium as Nicolas Flamel claimed to have made transmutations, while Paracelsus is best known for its work in the health field (concept of active ingredient).




Je traduis :
Aucun des éléments ne porte le nom d'un alchimiste. Pourtant les alchimistes avaient envisagé la transmutation, même si leurs idées sur la chose n'avaient rien à voir avec la façon dont on est parvenu à faire des transmutations. En conséquence, il est proposé de s'interroger sur la possibilité de réparer cette omission, quatre nouveaux éléments ayant été découverts. Je propose deux options : le flamellium, du nom de Nicolas Flamel, sympole Fa, et le paracelsium, d'après Paracelse, symbole Pc. 
Ma préférence va au flamellium, car Nicolas Flamel a prétendu avoir obtenu des transmutations, tandis que Paracelse est plutôt connu pour ses travaux en pharmacie (concept de principe actif). 


Pour ceux qui sont intéressés par cette question : arlattes@yahoo.fr.
 

dimanche 17 janvier 2016

Est-ce bien de séparer les campus universitaire des villes ?



Est -il bon de déloger les campus universitaires des villes ?

Souvent, le raisonnement est le suivant : le mètre carré est coûteux, et les établissements universitaires, qui appartiennent à l'état, sont des bâtiments que l'on peut reconstruire dans des champs éloignés des centres des villes, ce qui permet de vendre les espaces récupérés à plus haut prix.
Certes, mais si l'on déloge les campus universitaires des villes, on crée une  communauté du savoir, qui est séparée de la communauté civile. Une communauté du savoir séparée de la société civile ? Cela s'est déjà vu, et cela a conduit à la révolution française. Des établissements de formation séparés des entreprises ? Il y a le risque que l'enseignement soit coupé du monde professionnel pour lequel les étudiants sont formés.
D'autant qu'il faudra bien loger les étudiants et les enseignants, les nourrir (bouchers, boulangers, bistrots, épiceries...), les "entretenir" (plombiers, électriciens,  laveries, teinturiers, médecins...), ce qui revient à créer, à l'extérieur des villes... des villes, autour des universités.
Et le cycle infernal reprendra, avec des villes de "vieux", sans vie étudiante, et sans possibilité pour la population générale d'aller facilement à l'université, ce qui revient à priver la population du savoir indispensable pour l'innovation.

Cela dit, la question mérite d'être replacée dans un cadre rénové par l'avènement du numérique. Par exemple, pourquoi aller en cours, quand on a sur son ordinateur de quoi travailler ? Et faut-il, encore, créer des amphithéâtres, alors que l'on peut imaginer des MOOC, qui rendront le savoir accessible au plus grand nombre ?

mardi 12 janvier 2016

Je me demande finalement si la vulgarisation ne nuit pas un peu à l'enseignement.

La question est ancienne de savoir quelle est la différence entre la vulgarisation scientifique et l'enseignement des sciences.  Pour la vulgarisation, une règle communément admise (mais que je propose de questionner ici) est
...


La suite sur http://www.agroparistech.fr/Vulgarisation-et-enseignement-les-relations.html

dimanche 10 janvier 2016

Une tribune importante dans Le Point


Tribune : il faut repenser et renforcer l'Agence nationale pour la recherche !

Huit grands scientifiques de l'Académie des sciences et du Collège de France, dont trois Prix Nobel, signent une tribune commune pour demander au gouvernement de réinvestir sans délai dans la recherche publique, au risque sinon de voir la France décrocher. Ils ont choisi Le Point.fr pour lancer leur appel.

Publié le - Modifié le | Le Point.fr
Alain Prochiantz du Collège de France, Prix Nobel, et Jean-François Bach, de l'Académie des sciences, font partie des cosignataires de l'appel.
Alain Prochiantz du Collège de France, Prix Nobel, et Jean-François Bach, de l'Académie des sciences, font partie des cosignataires de l'appel. © AFP/ MIGUEL MEDINA-BENOIT TESSIER
La recherche fondamentale, par son originalité et sa liberté, est génératrice des ruptures conceptuelles qui, par-delà leur valeur propre, une fois traduites en innovations technologiques et industrielles, assurent le succès des économies fondées sur la connaissance. Malheureusement, le financement de cette recherche est actuellement mis en péril par la faiblesse des crédits qui arrivent dans les laboratoires. Cette baisse reflète les investissements insuffisants dans les universités et les Établissements publics scientifiques et techniques (EPST) et l'affaiblissement dramatique du budget de l'Agence nationale pour la recherche (ANR).
Pour s'en tenir aux chiffres, depuis plus de 20 ans, les dépenses en recherche et développement (R&D) de la France plafonnent à 2,25 % du produit intérieur brut (PIB), loin de l'objectif de 3 % recommandé par l'agenda de Lisbonne de l'année 2000 et atteint, sinon dépassé, par nos principaux concurrents, dont nos amis allemands. Pour ce qui est de la recherche fondamentale, cela correspond à un déficit de l'ordre de 0,2 % du PIB, soit 4 milliards d'euros.
Les signataires de cette lettre considèrent qu'il est évidemment nécessaire que les universités et les EPST, tels le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) ou l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), contribuent à une hauteur significative au financement pérenne des équipes. Ils n'en sont pas moins convaincus que le financement contractuel complémentaire, fourni par l'ANR, doit être très fortement augmenté.
Sur les dernières années, la diminution du budget de l'ANR, passé de 800 à 520 millions d'euros et la quasi-disparition des « programmes blancs » privent de financement les équipes qui s'engagent dans des travaux originaux relevant de la recherche fondamentale. À cet assèchement financier s'est ajoutée une complexification tatillonne des demandes de soutien. L'évaluation des résultats devrait être la principale contrainte, sinon la seule, en matière de financement de travaux fondamentaux.
Il est de notre responsabilité d'attirer l'attention des responsables politiques sur le fait qu'une ANR bien dotée, majoritairement orientée vers la recherche fondamentale et capable de financer au moins 20 % des projets pour une durée de 3 à 5 ans, permet de soutenir la grande majorité des équipes. Par ailleurs, et c'est là un point essentiel, une évaluation anonyme par des chercheurs pris dans la communauté internationale met à égalité les jeunes équipes et celles qui sont dirigées par des personnalités établies. On doit donc y voir un gage, non seulement de qualité, mais aussi d'équité.
La situation est donc particulièrement grave pour les jeunes chercheurs qui, après avoir été recrutés selon un processus extrêmement sélectif, se retrouvent sans crédits de recherche pour mettre en œuvre ou poursuivre de façon indépendante des travaux originaux, parfois en rupture avec l'existant, leur permettant d'accéder, ensuite ou parallèlement, à des financements compétitifs internationaux, européens tout particulièrement.
Cela conduit certains d'entre eux, de plus en plus nombreux, à se tourner vers d'autres métiers ou à programmer un départ vers des universités ou instituts étrangers. La recherche française commence à perdre les meilleurs talents des nouvelles générations, pour ne rien dire des chercheurs confirmés eux aussi atteints par le découragement face à une situation incompréhensible qui risque de nous faire perdre à court terme notre place encore éminente dans la compétition internationale.
Nous sommes conscients de la situation budgétaire de notre pays, non sans lien avec la faiblesse chronique de nos investissements en R&D, et nous comprenons qu'on ne pourra rattraper ce retard d'un seul coup. Mais nous demandons que le gouvernement programme ce redressement à moyen terme et consacre immédiatement 1 milliard d'euros supplémentaire à la recherche publique, dont au moins 500 millions à une ANR débarrassée des règlements absurdes qui lui ont été récemment imposés et réorientée majoritairement vers la recherche fondamentale. Une autre part de ce budget supplémentaire doit aller à l'embauche de chercheurs et enseignants chercheurs, plus tôt dans leur carrière, et à des salaires dignes des métiers auxquels ils se destinent.
Faute de changements courageux dans notre politique R&D, seuls quelques îlots de très haut niveau seront préservés, insuffisants pour conserver le tissu nécessaire de recherche fondamentale et pour assurer sa traduction en innovations technologiques et industrielles. Il n'y a plus un instant à perdre, il en va du maintien de notre pays parmi les nations qui comptent au niveau intellectuel, économique et politique. Pour reprendre le mot d'ordre mobilisateur de la COP21 « Plus tard, il sera trop tard ».
Signataires :
Jean-François Bach, secrétaire perpétuel de l'Académie des sciences
Anny Cazenave, Académie des sciences
Serge Haroche, Collège de France, Prix Nobel de physique
Édith Heard, Collège de France
Jules Hoffmann, Prix Nobel de physiologie ou médecine
Jean-Marie Lehn, Collège de France, Prix Nobel de chimie
Bernard Meunier, président de l'Académie des sciences
Alain Prochiantz, Collège de France

Je partage une connaissance fraîche

Il y a  ce que l'on sait un peu, et il y  a ce que l'on sait vraiment. Comme beaucoup, je sais  beaucoup (d'accord, pas assez, jamais assez), mais sais-je vraiment ?

Je fais état de mon ignorance : une "missive", c'est une lettre destinée à un correspondant officiel. Raison pour laquelle c'est pas un pléonasme ni une périssologie que d'écrire "lettre missive".

Cette fois, je le sais vraiment. 


Eloge de la technique

 Certains croient que la technique est une activité mécanique, où l'être humain pourrait être remplacé par une machine, un robot... Les idées de ce genre méritent d'être réfutées, et notamment en considérant qu'il y a souvent une composante artistique et une composante sociale dans l'acte technique.
Pour la cuisine, le soin, par exemple, est essentiel, parce que c'est une façon de se préoccuper du bonheur de ceux  que l'on nourrit. En outre, le  technicien culinaire qui ne se préoccuperait  pas de faire bon serait vite ramené dans le droit chemin, ce qui prouve,  à nouveau, que la question technique est merveilleuse : vive la technique intelligente !

La suite sur  http://www.agroparistech.fr/Mettre-en-oeuvre-une-technique-c-est-y-penser.html

samedi 9 janvier 2016

Etre positif ? Il faut s'entraîner

En ce début d'année, juste après ma résolution d'être très positif,  je reçois une sorte de cadeau : une liste des "tendances food 2016". Rien que le libellé de cette liste monte du parisianisme, c'est-à-dire du snobisme, de la prétention, mais,  quand on creuse, ça devient bien pire :  dans la liste en question, on trouve les power bowls (on mange dans des bols plutôt que dans des assiettes, que c'est novateur !  ; les légumes spaghettis... et l'on croit à des vertus "santé" ; les graines anciennes... et le fantasme du végétarianisme ; le "bon gras qui fait mincir : vraiment ? ; la nouvelle world food... qui est la cuisine régionale : la terminologie anglaise fait-elle la nouveauté ? ; les pâtisseries avec moins de sucre : chiche ?  ; les infusions bio : pas de commentaire ; le dish crawl, à savoir changer d'endroit pour manger les divers plats du repas ; et j'en passe, et des meilleures...
Pourquoi cet envoi est-il un cadeau ? Parce qu'il teste  ma volonté d'être très positif. Dans le paragraphe précédent, j'ai esquissé une critique... mais sans insister, parce qu'on se souvient que j'ai décidé d'être positif ! Si des individus décident de manger des légumes spaghettis, ça les regarde, et l'on voit mal pourquoi je les en empêcherais ou pourquoi je leur ferais une morale, inutile de surcroît. Si nos amis veulent changer de siège en cours de repas, pourquoi pas, et la généralisation de ce comportement ne provoque pas de mort d'homme ; alors..

Surtout, pour être efficace, il faut  être positif. Comment ? Surtout ne pas réagir, mais partir des données soumises pour donner des faits, des analyses rationnelles, des clés pour la compréhension. Au lieu de faire des remontrances, il y a la possibilité de distribuer la connaissance, de la connaissance scientifique, fondée sur les faits, non pas de  la poésie, par de l'expression de fantasmes.

Reprenons, par exemple, à propos de légumes spaghettis. Savons-nous bien que, selon la façon dont on coupe des tissus végétaux, le goût peut changer ? Cela peut être tout aussi bien la façon de couper (transversalement, par rapport à l'axe d'un légume) que l'outil de découpe : dans notre équipe, nous avons montré qu'un scalpel fait un goût différent de celui  que produit un couteau médiocre qui abime les tissus.
Par exemple, à propos de matière grasse. C'est l'occasion de dire que nous ne mangeons pas des "acides gras", mais plutôt des "triglycérides", ou des "phospholipides", qui sont des composés différents. Dans le système digestif, ces composés sont décomposés, et les fragments que nous absorbons sont utilisés par notre organisme pour faire notamment les membranes de nos cellules. Surtout, il est exact que les divers composés de la catégorie des matières grasses ont des structures chimiques différentes, de sorte que leurs effets sur l'organismes sont différents. Font-ils mincir ? Stricto sensu, sans doute pas, mais la dénonciation de l'erreur est moins intéressante que la possibilité de signaler que les matières grasses sont les composés les plus énergétiques de notre alimentation, et de dire que des graisses en excès ne sont pas mieux éliminées, mais, au contraire, davantage stockées. En outre, si l'on calcule l'énergie qu'il faut à un individu adulte pour vivre sans efforts particuliers, on obtient environ 300 grammes de matière grasse, et donc plus pour d'autres composés. Ce qui réfute le fantasmes des "pilules nutritives".
Bref, chaque ânerie est l'occasion positive d'explications... qui finiront bien par être entendues ! C'est le début d'une longue explication, mais je crois cette dernière essentielle. Nos amis (je parle de nos concitoyens) méritent des explications simples, d'ailleurs plus détaillées que celles que j'ai données ici, à simple titre d'exemple. C'est à cela qu'il faut s'atteler maintenant, en nous souvenant que tout le monde n'est pas chimiste, et qu'il faudra expliquer, simplement, gentiment, avec un immense enthousiasme pour les connaissances de qualité !

jeudi 7 janvier 2016

Par email, par courrier, par téléphone, par sms, je reçois de très nombreux messages d'étudiants intéressés par la gastronomie moléculaire ou par la cuisine moléculaire, voire la cuisine note à note, ce qui me réjouit évidemment, car cela prouve que je réussis à partager ma passion pour la connaissance et ses applications.

Pourtant j'ai souvent peur que  nos amis soient déçus, notamment quand il s'agit d'étudiants qui me demandent s'ils peuvent venir faire un stage dans notre équipe de recherche. Par exemple, ce matin, une étudiante anglaise me disait s'être amusée beaucoup à faire des chocolats chantilly, des berzélius, des gibbs…  La semaine dernière, c'était un correspondant autrichien qui  faisait un dirac et un gibbs.  Je ne parle pas de ceux qui font des perles d' alginate ou qui utilisent des siphons, car il s'agit là de cuisine moléculaire, telle que je l'ai proposée il y a 35 ans, et ma réponse est alors qu'ils feraient mieux de s'intéresser à la cuisine note à note.
Ce qui me trouble, c'est que mes interlocuteurs me parlent souvent de cuisine, quand je parle moi de gastronomie moléculaire,  et je veux profiter d'un message reçu il y a  quelques instants pour donner deux exemples des travaux que nous faisons au laboratoire afin de donner des explications pour le futur.

Nos jeunes amis sont de deux types principaux : il y a les cuisiniers, et les étudiants en science et en technologie, mais invariablement, je réponds  à tous que, dans notre groupe de recherche, notre travail quotidien consiste à mettre en oeuvre des méthodes d'analyse, telle la spectroscopie de résonance magnétique nucléaire, la fluorimétrie, l'électrophorèse capillaire, la chromatographie en phase gazeuse avec spectrométrie de masse, ou bien,  pour la partie théorique, nous cherchons à résoudre des équations différentielles ou des  équations aux dérivées partielles. Je donne maintenant un exemple de chaque cas.


Voir la suite sur http://www.agroparistech.fr/Ce-que-nous-faisons-au-laboratoire-de-la-gastronomie-moleculaire-pas-de-la.html

dimanche 3 janvier 2016

Comment faire une découverte scientifique ?

Comment faire une découverte scientifique ? Je vous invite à commenter le billet : http://www.agroparistech.fr/Comment-faire-une-decouverte.html


vendredi 1 janvier 2016

Un dîner me donne l'occasion d'expliquer

Lors d'un dîner, je suis conduit à avouer à mes amis que je ne suis pas au courant des « actualités ». N
i par les journaux, ni par les radios, ni par les télévisions (que je n'ai pas), ni par internet... Cela étonne mes interlocuteurs (et même mon entourage proche)... mais j'espère que l'on me fait assez confiance pour penser que j'ai des raisons puissantes de me comporter ainsi.
Lesquelles ? Voilà une première question. Est-ce un désintérêt politique ? Voilà une deuxième question...  à laquelle la réponse est évidemment un "non" énergique !


Pas de lamentations. De l'action ! 

Commençons par la première question : pourquoi éviter (c'est d'ailleurs difficile) les  actualités ?
Tout date de 1980, quand, étant par hasard devant un écran de télévision, j'ai vu ces enfants qui mouraient de faim au Biafra. Les images étaient effroyables, avec des corps squelettiques, des ventres boursouflés, et mon sentiment était évidemment le même que celui de n'importe quelle autre être humain normalement constitué : je me lamentais, comme tout le monde.
Le déclic est venu le jour suivant, parce que, par hasard, je me suis  à nouveau retrouvé devant un écran de télévision, qui m'a montré ces mêmes images. Et j'ai compris que je me lamentais... sans rien faire ! Ce jour-là, j'ai décidé que j'utiliserai mieux mon temps, à agir plutôt qu'à me lamenter.

D'ailleurs, avons-nous vraiment besoin des actualités pour savoir que, aujourd'hui, dans le monde, des populations souffrent de famine ?
Avons-nous besoin d'informations pour savoir que dans certaines parties du monde, il y a des guerres, des querelles de territoire (souvent parce qu'il y a du pétrole, de l'or, de l'uranium...),  des fanatiques...  ?
Avons-nous besoin des "faits divers" pour savoir que le monde souffre des exactions d'individus malhonnêtes…  (mais je sais  aussi qu'il y a des gens merveilleux, honnêtes, droits, loyaux, soucieux des autres, admirables) ?
Sommes-nous naïfs au point de ne pas savoir que, bien souvent, l'idéologie masque des motifs économiques, qui ne sont pas avoués…
Ne savons-nous pas qu'il y a la pluie, la grêle, la sécheresse, les volcans, les inondations, les tsunamis...
Ne savons-nous pas qu'il y a chaque jour des vols, des meurtres...
Et ne devons-nous pas craindre, enfin, que les détails donnés par ceux qui distribuent l'actualité soient souvent inutiles et nous détournent de l'essence des faits ? 


Quelle action ? 

Car c'est bien de cela qu'il s'agit : quelle peut être notre action pour faire (naïvement, j'en conviens) un monde meilleur ? 
En 1980, déjà fervent lecteur de Diderot et de ses amis des Lumières, j'avais cette idée (naïve, bien sûr)  que notre monde irait mieux avec plus de rationalité. Cette conviction m'a fait travailler pendant 20 ans à la revue  Pour la Science, qui n'est certes pas une revue très grand public, mais qui est largement reprise par d'autres revues plus populaires, de sorte qu'un discours bien construit, une rationalité bien présentée, pouvaient avoir un effet démultiplicateur.
Puis, en 2000, j'ai quitté la rédaction en chef de la revue Pour la Science pour aller faire de la recherche scientifique et de l'enseignement à l'Inra, où, au fond, l'objectif n'a pas changé, puisque ma lettre de mission me confie le soin de faire ce que je faisais, à savoir chercher à repousser les limites de la connaissance (la recherche scientifique) et distribuer un message de Raison, par le truchement des résultats de la gastronomie moléculaire.


C'est pour des raisons politiques que...

C'est pour cette même raison politique qu'existe ce blog et d'autres.
C'est pour des raisons politiques que sont publiés mes ouvrages.
C'est pour des raisons politiques que je prends sur mon temps de recherche pour répondre aux interviews, pour aller  dans des émissions de radio ou de télévision parfois un peu "gaudriolesques".
C'est pour des raisons politiques que je prends du temps pour de l'enseignement, que j'explique à nos jeunes amis que, pour la majeure partie d'entre eux, la technologie vaut mieux que la science.
Mon action est-elle efficace ? Pourquoi ne pas être plutôt ministre, député, par exemple ?
Frère Jean des Entommeures répondait très justement : " car comment pourrais-je gouverner autrui, qui moi-même gouverner ne saurais ?".  Rabelais propose que l'éducation soit la clé de l'harmonie dans l'abbaye de Thélème. Diderot, dont je chéris le souvenir, avait l'Encyclopédie, comme socle sur lequel il écrivait ses oeuvres.
D'où tant de cours en ligne gratuits ? D'où les Atelier expérimentaux  du goût,  pour les écoles primaires, et les Ateliers Science & Cuisine, pour les les collèges et les lycées. D'où les blogs, les interviews. D'où cette cuisine note à note qui heurte mes interlocuteurs et que, pourtant, je continue à promouvoir dans le monde...

Et là, j'espère avoir convaincu : la moindre seconde gagnée sur les "actualités" est une possibilité de faire changer notre environnement. Il n'y a donc pas à hésiter...



PS. Je me fais à moi-même la remarque que, oui, j'écris des billets, des livres, des articles... mais j'aime cela. Serais-je en train de faire passer pour une action politique un simple amusement, un goût personnel ? En réalité, l'écriture est, si l'on reprend les écrits de Condillac et de Lavoisier, une façon de mieux penser, de sorte que la production de textes écrits, si c'est exact qu'elle m'intéresse beaucoup, vise quand même la production d'une pensée affinée.
D'autre part, il n'est pas interdit d'avoir deux objectifs simultanés. D'ailleurs, imaginons que je ne retienne que l'objectif politique. On pourrait imaginer que sa mise en œuvre intrinsèque soit un plaisir personnel… ce qui n'est pas le cas. En revanche, oui, c'est dans les moyens de la mise en oeuvre que j'y trouve du plaisir, et je renvoie vers un autre billet pour montrer comment le plaisir d'un travail permet de faire mieux ledit travail, plus efficacement.
Ce que je dis là vaut pour l'écriture comme pour la recherche scientifique, bien évidemment, mais il est également vrai que ma façon de promouvoir un certain émerveillement par les sciences de la nature se fonde sur la production de résultats scientifiques, de sorte que , là encore, il y a deux objectifs confondus, et  ma connaissance, il n'y a aucun mal à cela,  à joindre l'utile à l'agréable.

L'induction

Dans des billets précédents, à propos de la quatrième étape de la méthode scientifique (des sciences de la nature), j'ai évoqué l'"induction"... mais on m'a justement fait observer que cette notion pouvait être inconnue de certains de mes amis.
Il faut donc expliquer.

Précisons d'abord que  l'induction que j'évoquais n'est ni l'induction électromagnétique, ni l'induction, au sens des raisonnements par récurrence ou des définition par récurrence.
Pour ces dernières, il s'agit de dire que si une propriété est vraie pour un nombre 1, et si le fait que la propriété soit vraie pour le nombre n a pour conséquence qu'elle soit vraie pour le nombre n+1, alors la propriété est toujours vrai.
Un exemple ? Considérons une grande file d'étudiants. Si le premier a un pull bleu, et si l'on nous dit que tout étudiant qui a un pull bleu est suivi d'un étudiant avec un pull bleu, alors nous pouvons savoir que tous les étudiants ont un pull bleu. Bien sûr, cet exemple est d'un intérêt limité, mais en mathématiques, avec des ensembles infinis, la récurrence s'impose absolument.

Toutefois l'induction à propos de laquelle on m'a reproché d'être implicite n'est pas celle-là. C'est une opération mentale qui consiste à généraliser un raisonnement ou une observsation à partir de cas singuliers. Elle a un statut bien particulier, et, en particulier, elle s'oppose un peu à la déduction.
Pour cette dernière,  on part d'axiomes ou de définitions, et l'on  produit des conséquences logiques. Avec la déduction, on n'obtient que des résultats tautologiques, déjà contenus dans les prémisses dont on tire les conclusions.
L'induction,  en revanche,  génère du sens en passant des faits à la loi, du particulier au général. En ce sens, la déduction logique ne produisant aucune nouvelle connaissance, au sens où les propositions déduites sont virtuellement contenues dans leurs axiomes, elle est par conséquent analytique ; au contraire, l'induction enrichit la conscience de nouveaux faits : elle est alors synthétique.

Un exemple ? Mettons-nous dans la peau  du physicien allemand Georg Ohm, qui, au 18e siècle,  met une pile en série avec un fil métallique, et qui mesure la différence de potentiel entre les bornes du fil, ainsi que l'intensité du courant électrique qui parcourt alors le fil. Il mesure donc un couple de valeurs  (U1, I1). Puis il branche une autre pile, et mesure un autre couple (U2, I2). Une troisième pile, et ainsi de suite.
Pour chaque couple de mesures, il divise la différence de potentiel par l'intensité du courant... et il découvre que ce rapport est environ constant.  Il induit alors que la différence de potentiel est proportionnelle à l'intensité du courant, et il  nomme "résistance" la constante de proportionnalité, qui dépend uniquement du fil conducteur considéré.

A la réflexion, cette opération de généralisation, par "induction", qui prétend établir une loi générale à partir de cas particuliers, est tout à faire extraordinaire, d'une audace immense ! Mais cet espoir dans une certaine simplicité du monde est, aussi, remarquablement efficace : l'ensemble de l'édifice scientifique est fondé sur l'induction.